ANNIVERSAIRES (SUITE)
Le soir de la fête est un soir comme ça, un soir à-quoi-bon. Rose, qui s'active, ressent cruellement l'absence de son homme.
« Qu'est-ce que je fous là, avec ce tas de nazes ? » se demande-t-elle, agressée par la bonne humeur générale.
Grégoire,
en revanche, est en pleine forme. Il a emporté son xylophone et tape
comme un sourd sur les touches colorées, avec son petit marteau de bois.
Ce qui produit une cacophonie assourdissante. Mais si on fait mine de
l'en empêcher, il hurle — et c'est pire encore…
—
Magnifique, ces guirlandes de papier crépon ! s'exclame Isaac qui,
selon son habitude, arrive le premier. Ça me rappelle un immeuble en
ruine dans lequel j'ai travaillé : les fils électriques pendouillaient
partout, de la même manière.
— Merci pour la comparaison, grogne Rose.
— Te vexe pas, cocotte, je plaisantais.
Puis c'est au tour de Manu :
— Hello, les p'tits loups ! Oh, c'est joli, ici : on se croirait à Luna-Park*… en encore plus bruyant.
— T'as raison, dit Rose, on ne s'entend plus. Grégoire, tu arrêtes cinq minutes ?
— Laisse, dit Manu, j'en fais mon affaire.
Elle tient un gros paquet caché derrière son dos.
— Grégoire, je t'échange ton xylophone contre un cadeau, d’accord ?
L'enfant suspend son geste.
— Quoi, comme cadeau ?
— Celui-là !
Vu la dimension et l'apparence de la chose — papier étoilé, ruban scintillant et tout le tralala —, Grégoire accepte.
—
Tu ne regretteras pas, assure Manu en escamotant l'instrument de
"musique". Vas-y doucement pour le déballer, c'est très fragile.
Le papier, déchiré, révèle une boîte à chaussures.
Et dans cette boîte…
— Oh ! Un ssat ! s'écrie Grégoire.
Un
chaton, plutôt. De quelque six ou sept semaines. Tout noir, avec le
bout des pattes blanches. Et qui miaule à s'en péter les cordes vocales.
Voyant son fils empoigner le frêle animal à pleines mains, Rose se précipite :
— Attention, mon chéri, ne le brutalise pas, surtout ! (À Manu) : Il est déjà sevré ? Si petit ? Tu es sûre ?
—
Sûre et certaine : c'est le dernier rejeton de ma Nénette. Elle me fait
trois portées par an, la friponne ! D'ailleurs, elle est de nouveau en
chasse.
Grégoire, tout à sa joie, serre l'animal contre son cœur.
— Douucement, insiste Rose. Ne l'étouffe pas !
— Comment vas-tu l'appeler ? demande Isaac.
— Zantadieu.
— Encore, s'écrie Rose. Décidément, c'est une obsession.
Et d'expliquer à l'assistance l'origine de ce curieux nom.
— Tu devrais changer de poète, ajoute-t-elle à l'intention de son fils. Appelle-le, je ne sais pas, moi… Jacques Prévert !
— Non, Zantadieu, s'obstine Grégoire.
— Jean Tardieu II, alors, pour ne pas le confondre avec ton nounours…
— On dirait un nom de pape, rit Mme Irène.
* Luna Park : parc d'attractions
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Laissez un chtit mot