ET D’AVENTURE EN AVENTURE
Dix
minutes plus tard, Rose et Mona Aoun causent comme de vieilles copines.
Et lorsque, sur le coup des six heures, cette dernière lève le camp,
c'est avec la ferme intention de revenir bientôt.
—
J'ai fait la connaissance d'une femme très chouette, annonce Rose, le
soir même, à son mari. Une compatriote à toi. Elle habite dans
l'ancienne maison du forgeron, tu sais, celle qui est restée si
longtemps inoccupée. Vu comment c'est parti, je crois qu'on va se
fréquenter…
Elle soupire.
— Ça ne remplacera pas Omane mais bon, au moins, j'aurai de la compagnie.
— Tant mieux, dit Amir, parce que moi, je ne vais pas être très disponible, dans les mois à venir.
— Ah ? Pourquoi ?
— Tu te souviens de Gabriel Askar ?
— Le chanteur qui ressemble à un danseur de tango ? Oui, bien sûr !
— On a peut-être un plan, avec lui.
Ses yeux brillent comme jamais.
— Vous allez le prendre dans le groupe ? devine Rose.
— Mieux que ça : c'est lui qui nous embauche. Tu sais qu'il a eu le grand prix de la ville de Spa, l'été dernier ?
Rose fronce les sourcils.
— Quel grand prix ? Je connais celui de Francorchamps… Il conduit des voitures de course, ce gars-là ? Première nouvelle !
Le rire d'Amir éclate, légèrement vexant.
— Celui de la chanson française, andouille. Pour une journaliste, tu n'es pas très branchée sur l'actualité.
— Ah, le concours du casino ? Pourquoi tu ne l'as pas dit tout de suite ? Je ne savais même pas qu'il y participait.
— C'était pourtant en couverture de L'Hebdo du Liban, en juillet.
— Je te signale qu'il y a un an que je n'y travaille plus.
Amir a un geste d'impatience signifiant "peu importe". Sa hâte d'aborder la suite crève les yeux.
—
Un producteur l'a contacté, là-bas. Il lui a proposé des tournées à
travers la France et la Belgique, débouchant peut-être sur un disque.
Mais pour ça, il lui faut un orchestre à la hauteur.
— Vous, iani* ?
— Yep.
— Formidable !
Elle lui saute au cou. Ils s'embrassent. Un p'tit brin de bonheur dans le marasme ambiant, c'est toujours bon à prendre.
— Je vais devoir m'absenter pendant plusieurs semaines, poursuit Amir, une fois les effusions finies.
— Là, tout de suite ? sursaute Rose.
—
Non, bien sûr, pas avant quelques mois. Mais en attendant, on va
répéter à haute dose. Il faut qu'on mette au point un répertoire entier,
tu t'imagines ?
Durant
un long moment, Rose reste songeuse, partagée entre la joie de voir
enfin la chance sourire à son chéri et l'appréhension d'être séparée de
lui. Puis une association d'idées aussi subite qu'imprévue détourne le
cours de ses pensées, et elle demande :
— Il donne toujours dans le Charles Aznavour, ton chanteur ?
— Non, là, il interprète plutôt du Serge Lama. Son gros succès, c'est D'aventure en aventure. Mais il voudrait surtout faire de la création.
— Et… il a un parolier ?
— Oh, toi, je te vois venir avec tes gros sabots. Tu veux que je lui propose ta collaboration, c'est ça ?
— Pourquoi pas ? J'ai toujours rêvé d'écrire des chansons.
— Je pourrais composer la musique, réfléchit Amir. Et à nous deux…
— … on révolutionnera le showbiz, achève Rose à pleine voix.
— Vendu, ma belle !
— Tope-là, mon beau !
C'est
si fort, ce qui passe subitement entre eux, si excitant, qu'ils se
ré-embrassent. Et encore. Et encore. En riant — ce qui ne leur est plus
arrivé depuis des lustres.
— Je m'y mets tout de suite, dit Rose.
Un vagissement l'interrompt.
— Enfin… dès que j'aurai nourri ce gros gourmand.
Tout en déboutonnant son chemisier, elles fredonne : Et d'aventure en aventure, de train en train, de port en port…