LA VIE SELON ZÉNAB (SUITE)
Malgré
sa radinerie, Zénab s'est fendue d'un somptueux nounours en peluche.
Elle a également apporté une tarte, à côté de laquelle les petits
gâteaux de Rose font piètre figure. Celle-ci la remercie, l'embrasse,
pout, pout, sans conviction, et l’oncle Henri déclare :
— Vous êtes bien installés. Ces vieilles maisons ont tant de charme…
— Mais aucun confort, coupe perfidement sa femme. Vous avez l'eau courante, au moins ?
—
L'eau, l'électricité et le bonheur, rétorque Rose (bien que ce dernier
mot n'ait plus réellement cours, dans le contexte actuel). Asseyez-vous,
je vais voir si Olivier est réveillé.
— Je t'accompagne. Henri, surveille Grégoire !
Olivier
dort toujours. Sur la pointe des pieds, les deux femmes pénètrent dans
la chambre que les rideaux fermés plongent dans une douce pénombre.
Zénab se penche sur le berceau, scrute longuement le petit visage
paisible. Puis se redresse et chuchote :
— Il est bien moins beau que l'autre. On voit tout de suite qu'ils ne sont pas du même père.
Puis, ayant largué sa petite phrase assassine comme un chien pose sa crotte, elle tourne les talons, laissant Rose abasourdie.
Si
abasourdie qu'elle ne trouve rien à répondre, mais rumine sa rancœur
durant toute l'heure qui suit (et même davantage : quarante ans plus
tard, cette rancœur la rongera encore). Pourtant, un raisonnement très
simple relativiserait le propos : ce que Zénab reproche au petit
Olivier, ce n'est pas d'être laid — il ressemble à son père ! — mais
d'avoir le teint sombre des Orientaux. Pour elle, comme pour beaucoup de
femmes du grand Sud, le stéréotype de l'enfant parfait, c'est l'angelot
blond et rose des pubs européennes.
Dès
lors, Rose manifeste une si évidente exaspération que ses oncle et
tante ne s'attardent guère. Le goûter terminé, ils s'éclipsent, en se
disant que leur nièce ne sait pas recevoir — ce qui, en l'occurrence,
est la stricte vérité.
—
Elle se relève de couches, l'excuse l'oncle Henri en regagnant sa
voiture. Et avec ses deux enfants, elle doit être surchargée de travail.
— Son mari n'a qu'à lui payer une bonne, rétorque Zénab du bout des dents.
Ces gens méchants sont les plus à plaindre, c'est pas leur bonheur qui les étouffe...
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