GROSSESSE LIBANAISE
Désormais, lorsque Rose et Omane, de
plus en plus imposantes au fil des semaines, se promèneront dans les
rues de Zouk, c'est tout l'opéra classique qui défilera à
travers elle. Ce qui ne troublera personne, l'habillement féminin,
dans cette population en majorité musulmane —djellabas richement
brodées, tchadors, babouches multicolores —, étant somme toute
assez proche du costume de théâtre. Mieux : son renoncement
(provisoire) aux modes européennes, jugées provocatrices et impudiques,
rapprochera Rose de la tranche la plus radicale des
villageoises qui, jusque là, voyait d'un mauvais œil l'incursion
d'une franzawia * dans
leur communauté. Dès lors, n'ayant plus d'inquiétude pour la
vertu de leurs hommes, elles s'intéresseront avec bienveillance aux
phases d'une grossesse dont leur regard aiguisé jaugera, mois après
mois, les progrès. Les pronostics quant au sexe du bambin à
venir iront bon train, ainsi que les conseils — assez fantaisistes,
au demeurant — pour modeler ce dernier à sa convenance. À savoir :
manger exclusivement de la viande pour un garçon et des
fruits pour une fille, ou s'exposer soit aux rayons du soleil, soit à
ceux de la lune. D'autres recettes viendront compléter ce "parfait
manuel de la future mère" : fixer durant trente minutes,
chaque matin et chaque soir, la photo de la personne à laquelle on
souhaite que ressemble l'enfant. Se laver les parties avec du lait de
chèvre afin qu'il ait la peau bien blanche. Se masser le
ventre à la purée de mangue pour que sa chevelure soit claire et
abondante. Et, surtout, avoir de fréquents rapports avec le père car
cela facilite l'accouchement.
En-dehors de la dernière, dont elle
apprécie le bon sens et qu'elle suit à la lettre, Rose considère toutes
ces suggestions comme des balivernes de sous-développés.
Omane, que l'arrogance des "européens bouffis de certitudes"
insupporte au plus haut point, lui en fait souvent le reproche, ce qui
donne lieu à des discussions sans fin. Entre le cartésianisme
de l'une et les superstitions de l'autre, Rachad et Amir se gardent
bien de prendre parti. Ils se contentent de sortir, qui son pinceau, qui
son Nikon, et portraiturent les harpies sur le vif.
Croquis et instantanés, dignes des commères de Brive-la-Gaillarde
chères à Brassens, serviront, par la suite, à illustrer un sketch
intitulé : Disputes de
grosses bonnes femmes dont Rose sera très fière et qui,
quelques années plus tard, adapté par deux humoristes (mâles) en vogue,
récoltera un franc succès au Théâtre du Liban.
* Franzawia : française
J'aurai bien aimé voir ces croquis et instantanés!
RépondreSupprimer(luciole)
Moi aussi. Surtout avec des dessinateurs aussi marrants qu'Amir et Rachad.
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