— Regarde, j'ai encore grossi.
Plantée devant la glace, Rose s’obstine à fermer la braguette de son jean.
— Eeeh, ne force pas comme ça, la rabroue Amir. Tu vas étouffer le bébé.
Elle rit.
— Tout de même pas. Normalement, ce pantalon est trois fois trop large.
— Mets autre chose, je ne sais pas, moi. Tu as bien une robe ?
— Elles me boudinent toutes. Il me faudrait des vêtements adaptés.
— Tu veux qu’on aille en acheter à Beyrouth ?
Rose grimace.
— Par cette chaleur ?
En fait, le shopping, elle a horreur
de ça. Le souk et ses joyeux grouillements, ses palabres, ses odeurs,
OK, pas de problème (pour autant que la température soit
supportable, évidemment, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui). Mais
les boutiques de fringues… Avec ces vendeuses qui vous embobinent,
tentent de vous fourguer des marques hors de prix — et,
généralement, y réussissent, si bien qu'après trois quarts d'heure
d'essayage, on finit, de guerre lasse, par acheter un truc affreux, qui
vaut la peau des fesses et qu'on ne porte jamais —, non
merci !
— Qu'est-ce que tu vas faire, alors ? Tu ne peux quand même pas te balader à poil.
— Si j'avais du tissu, je me la fabriquerais moi-même, ma robe de grossesse.
C'est au tour d'Amir de rire.
— Je vois ça d'ici. Ce serait du joli.
— Ben quoi, je sais coudre. Ma mère m'a appris.
Avec un froncement de nez ironique, Amir suggère :
— Dans ce cas, adresse-toi à Hassan.
— Le tisserand ? Tu veux que je taille ma robe dans un tapis ?
— Il tisse des toiles plus fines,
aussi. Ou alors, demande à Omane. Elle a des coffres remplis de soieries
de toutes les couleurs.
— Ah, oui, Omane, c'est une bonne idée.
Sitôt dit, sitôt fait : Rose enfile à
la va-vite une chemise d'Amir sur son pantalon dont elle garde la
fermeture-Éclair ouverte, et court frapper à la porte
voisine.
Elle en ressort une heure plus tard, nantie d'une somptueuse tenue — celle de La Tosca*,
pourpre rehaussée d'or —,
assez large pour y enfouir trois ventres comme le sien. Sa
belle-sœur, qui n’entre plus dedans, la lui prête jusqu'à
l'accouchement, ce qui, tout compte fait, est nettement plus pratique
que de
manier l'aiguille.
— Tu as une de ces allures, ma pauvre, s'esclaffe Amir. Gavroche déguisé en reine de Saba.
Flattée par la comparaison — qui,
pourtant ne l'est pas, flatteuse, mais Rose a des critères très
personnels en matière d'élégance —, elle se rengorge.
— Je te plais ?
Un long baiser lui prouve que oui.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Laissez un chtit mot