samedi 29 octobre 2016

LE BEL ÉTÉ 17





















                                                         LE TEMPS DES SOUPIRS


                  Les choses  se gâtèrent quand je voulus enfiler mon jean.
                  Impossible de fermer la braguette.
                  Ça a l’air con à dire, mais se trouver  subitement dans l’incapacité de passer une fringue qui, la veille, vous allait comme un gant,  je ne connais rien de plus stressant. Avais-je changé de forme durant la nuit ? Gonflé ? Grandi ?  M’étais-je déformée ? Épaissie ? Bosselée ? J’avais beau tirer sur le tissu, remuer les fesses dans tous les sens, m’acharner sur la fermeture Eclair, ce foutu fute ne voulait rien savoir…
                  Face à l’insondable mystère, je m’apprêtais à déclarer forfait quand, dans un flash, je réalisai : mon pantalon à moi avait des boutons, pas un zip.  En fait, j’étais en train de me bagarrer avec celui de Castor qui, la bonne blague !, n’était pas à ma taille.
                  En riant sous cape, je rectifiai le tir, mais au moment d’attacher mes baskets, rebelote. Les lacets refusaient de se laisser nouer.  Ils m’échappaient, glissaient entre mes doigts  comme des vers ou des serpents. A défaut d’un nœud correct, je les emberlificotai tant bien que mal autour de mes chevilles, tout en me répétant avec effarement : « T’es drôlement dans le coltard, ma cochonne ! Décidément, t’as passé l’âge des galipettes… »
                  Mais bon, j’avais faim, et j’adore les petits déjeuners des hôtels. Laissant Castor à son sommeil réparateur, je m’éclipsai donc, sapée comme l’as de pique — car le reste de ma tenue était à l’avenant de ce que je viens de décrire.
                  Lorsque, le ventre plein,  je remontai dans la chambre, mon petit camarade sortait de la salle de bains. Et je lus illico la stupeur dans ses yeux.
                  ­ ­ — Euh… c’est exprès que ta manche pendouille comme ça ? s’enquit-il en me rajustant.
                     Sur le moment, sa réflexion me fit marrer.
                    — Non mais, quelle gourdasse ! m’écriai-je. Même pas capable de m’habiller toute seule, tu te rends compte ?
                   Castor joignit son rire au mien.
                  — Encore un « Grand moment de solitude »…
                  Ce  ne fut que bien plus tard qu’il m’avoua avoir été glacé par ce spectacle,  et surtout par le fait que je ne m’en inquiète pas.
                  Car, lui l’était, inquiet. Et, au fil des heures, ce sentiment ne fit que croître et embellir.
                  — Tu n’étais plus toi, me dit-il, par la suite. Tu paraissais droguée.  Dans un état second, tu vois ?  A tel point que j’ai cherché dans ta trousse de toilette si tu n’avais pas pris une surdose de médocs.
                  Tout cela, bien entendu, m’échappait complètement. Je planais entre ciel et terre. Ce fut en ronronnant que, collée contre lui, je rejoignis le site du festival (« à tout petits pas , me précisa-t-il . Et en titubant »).
                  — J’ai pas assez dormi,  pouffai-je lorsqu’il m’en fit la remarque.  A qui la faute ?                    
                  N’empêche que je me sentais comme un poisson dans l’eau. Après la traversée du désert de ces deux dernières années, retrouver  mon public, mes copains écrivains, les éditeurs qui me suivaient depuis toujours — bref, redevenir moi-même — me ravissait au-delà de tout. C’est un milieu si attachant que celui des littératures de l’imaginaire (SF, fantastique, fantasy, etc) ! J’échangeais des sourires, des bisous à la ronde — un peu trop ostensibles, peut-être ?
         — On dit toujours que nous écrivons pour être aimés, glissai-je à Castor dans le creux de l’oreille. Eh bien c’est vrai. Et ça marche, la preuve !
                  Cette euphorie affective, s’ajoutant à celle de mes émois nocturnes, me dopait. Je rayonnais littéralement. Ce n’est qu’un peu plus tard que la somnolence me saisit…




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