DANS LES VAPES
J’étais assise derrière une pile de « Truc », mon dernier roman paru
chez Rivière Blanche. Et tandis que les visiteurs me tendaient leur
exemplaire, je sentais, malgré moi, ma tête s’alourdir, et mes paupières
devenir de plomb.
Par chance, à chaque fois que je fermais les yeux, une pression sur la
cuisse me rappelait à l’ordre ; Castor veillait.
— Gudule, les gens attendent…
Durant une fraction de seconde, les rêves désertaient mon esprit pour
revenir en masse, sitôt la signature torchée.
Arriva le moment du débat public dont le thème était, si je me souviens
bien : « lecture-frisson, lecture-plaisir ». Il se déroulait dans l’un
des deux Magic-Mirrors (constructions foraines en bois enluminé et verre
couleur, louées pour l’occasion et installées dans le parc paysager
qui servait de cadre au festival.) Nombre de mes amis y participaient,
ce qui aurait dû, en toute logique, me stimuler, mais ne contra pas mon
irrépressible envie de dormir. Au point que l’animateur finit par me
lancer, sur un ton ironique :
— Gudule, reviens parmi nous ! Tu es dans la lune ou quoi ?
— Peut-on reprocher à un écrivain d’être dans la lune quand il y puise
son inspiration ? eus-je (je ne sais comment) l’à-propos de répondre.
La salle s’esclaffa.
Castor, qui, installé au premier rang, ne perdait pas une miette de mes
rares interventions, m’assura que je n’avais ni bafouillé, ni semblé
perdre le fil de mes idées.
— Tu n’étais juste pas là, conclut-il.
Alors, moi, égrillarde :
— Forcément : chuis crevée. Faut que je récupère. Que dirais-tu d’une petite sieste ?
Il n’avait rien contre. Fuyant le repas collectif et bruyant, nous
réintégrâmes donc le silence de nos draps blancs. Si la chose
m’enchantait pour les raisons susdites, je pense que les motivations de
Castor étaient tout autres. Au moins, entre ses bras, je ne courais
aucun risque. Il pouvait enfin relâcher son attention, et cesser de
scruter anxieusement la foule dès que je m’éloignais. Cajoler une femme,
c’est bien moins épuisant que de la protéger contre le monde entier — y
compris elle-même.
Par chance, hormis d’éventuelles dédicaces (en horaire libre), je
n’avais rien de prévu cet après-midi-là. De sorte que la journée
s’acheva en farniente.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Laissez un chtit mot