UNE GRANDE DAME BRUNE ASSEZ FORTE
Les choses en sont là, lorsqu'un beau jour, en revenant de l'école :
— Qu'est-ce que tu manges, Grégoire ? s'étonne Rose.
— Un bonbon.
— Qui te l'a donné ? La maîtresse ?
— Non, Nana.
Un froid glacial envahit Rose.
— Crache ça tout de suite !
L'enfant refuse avec indignation.
— Crache ou je me fâche, s'énerve sa mère.
Et, joignant le geste à la parole, elle le secoue comme un prunier.
Grégoire, surpris, s'étrangle et, dans une quinte de toux, obtempère
malgré lui.
— Où as-tu vu Nana ? tempête Rose, hors d'elle.
En pleurnichant, l'enfant montre le grillage du doigt.
— Elle t'a glissé le bonbon à travers les trous pendant que tu étais à la récréation, c’est ça ?
Grégoire hoche la tête en reniflant.
— Elle vient souvent te voir ?
Second hochement de tête qui met Rose hors d’elle.
— Pour me faire des bisous, précise l’enfant en montrant sa joue.
— Et la maîtresse n'intervient pas ? Elle laisse n'importe qui
embrasser les gosses sous sa surveillance ? Eh bien, elle va voir de mes
nouvelles, celle-là !
Rose rentre en courant prévenir son mari.
Celui-ci commence par relativiser.
— Du calme, habibté. Donner un bonbon à un enfant, ce n'est pas un crime.
— Et s'il était empoisonné, hein ? Ce ne serait pas la première fois
qu'un adulte barjot refilerait des saletés à un môme : il y a des morts
chaque année, aux Etats-Unis, pendant Halloween.
— D'abord, nous ne sommes pas aux Etats-Unis, et ensuite, tu sais aussi
bien que moi que Mona ne ferait aucun mal à Grégoire. Elle doit juste
avoir eu envie de le revoir. Elle s'est quand même occupée de lui
pendant des mois. Logique qu'elle se soit attachée, non ?
— Sa logique à elle, je m'en méfie, figure-toi. Et si tu avais assisté à
sa crise, tu réagirais comme moi. Elle a tué notre chat, merde !
Pourtant, à lui aussi, elle était "attachée" : le soir, elle passait des
heures à le caresser.
— Il y a une différence entre un chat et un enfant.
— Mouais… N'empêche qu'on devrait appeler le toubib, pour être sûrs.
— Arrête, Grégoire se porte comme un charme !
— Je te préviens : s'il a mal au ventre, je saurai d'où ça vient. Et là, je te jure, je…
Rose n'explicite pas sa menace, mais à son expression, il est évident
qu'elle ne plaisante pas. Fort heureusement, Grégoire ne présente aucun
symptôme d'intoxication, et l'incident demeure sans suite. Rose lui doit
néanmoins une recrudescence d'anxiété, si bien que le lendemain :
— Ne laissez personne d'extérieur approcher mon fils, recommande-t-elle
à la maîtresse. En particulier une grande dame brune, assez forte, la
quarantaine, les cheveux mi-longs… Elle lui a donné des bonbons, hier.
Il ne faut surtout pas que cela se reproduise.
L'institutrice promet, et Rose s'en va, rassérénée. Mais le soir même…
Comme elle sort de l'école, la poussette d'Olivier en proue, Grégoire
agrippé à celle-ci, une ombre furtive attire son attention. Quelqu'un,
visiblement, l'observe, dissimulé derrière l'un des grands arbres de la
place. Et ce quelqu'un n'est autre que…
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