vendredi 19 août 2016

ROSE 110

 


VAGUE À L’ÂME

Dans l'après-midi, Rose est si déprimée qu'elle téléphone à Amir. Vu le prix des communications entre la Belgique et la France, c'est lui qui appelle, en général. Mais là, il s'agit d'un cas de force majeure.
— Tu as trouvé un appartement ? attaque-t-elle tout de go.
       Silence stupéfait à l'autre bout du fil, puis la voix caressante d'Amir : 
— Qu'est-ce qui ne va pas, habibté ?
Pour toute réponse, Rose éclate en sanglots.
Il est arrivé quelque chose aux enfants ?
Elle renifle.
— Non, de ce côté-là, pas de problème, rassure-toi. Mais tu me manques.
— Ah, tu m'as fait peur… Tu me manques aussi.
— Je veux partir d'ici. J'en ai marre de ma mère.
Nouveau silence.
— Amir ! insiste Rose. Je veux m'en aller, tu entends ?
— Un peu de patience, chérie, je fais ce que je peux. Ce n'est pas simple, tu sais, de louer quelque chose en ce moment.
Pourquoi ?
— Tu n’écoutes pas les infos ? Il y a des manifs, ça gueule de partout. La crise, quoi !
Et alors ? En quoi ça nous concerne ?
— On est jeunes, étrangers, on n'a pas de boulot, pas beaucoup de fric… Alors, les proprios se méfient, forcément : mets-toi à leur place. Mais je cherche, ne t'en fais pas. Tous les jours, je cherche. À force, je finirai bien par trouver. 
Vite, s'il te plaît. Je ne tiendrai plus longtemps.
Il promet. Lui répète qu'il l'aime, qu'il n'a qu'une envie : être à nouveau près d'elle et des petits.
— Ce n'est qu'un mauvais moment à passer, assure-t-il. On est en train de se fabriquer un bel avenir, tous les quatre. Ça mérite bien quelques petites concessions, non ? Tout ce que je te demande, c'est d'être raisonnable pour que je puisse agir au mieux de nos intérêts. Tant que tu es en Belgique, j'ai les coudées franches et l'esprit libre, tu comprends ?
Elle soupire, émet un « oui » à peine audible.
— Je sais que ce n'est pas drôle, mais fais-le pour moi. Considère ça comme une preuve d'amour. 
Oui.
— En plus, j'ai de bonnes nouvelles : notre agent envisage une tournée en province, cet été. Du coup, Gaby a engagé un guitariste solo et un batteur. Mais ce n'est pas du tout-cuit : mettre au point un répertoire d'une vingtaine de chansons en deux mois, avec de nouveaux musiciens, tu imagines le marathon ? On répète nuit et jour !
Ben… quand t’occupes-tu de notre appart’, alors ?
— Dès que j'ai cinq minutes de libre.
Voilà qui explique tout.
— OK, j'ai compris, siffle Rose. Pas la peine de tourner autour du pot : en clair, je suis coincée ici jusqu'à la saint Glinglin.
Amir ne la contredit pas.
— C'est quoi, le délai, à ton avis ? insiste-t-elle. Une semaine ?
— …
Quinze jours ?
Compte plutôt un mois, dans le meilleur des cas.
UN MOIS !? Je ne tiendrai jamais jusque là.
Elle avale sa salive, ce qui produit un chuintement pathétique dans l'écouteur.
— Un mois, répète-t-elle d'une voix tremblante.
— Je vais tâcher de me libérer pour venir te voir le week-end prochain, s'empresse son mari, sentant à nouveau poindre les larmes. On en rediscutera à tête reposée.
Piètre consolation, mais Rose s'y raccroche comme à une bouée de sauvetage. La semaine à venir promet d’être interminable.



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