L'arrivée d'Amir, quelques jours plus tard, met heureusement un terme à
l'escalade. Dans ses bras, Rose retrouve un semblant de paix, pleure
beaucoup, râle énormément. Et le somme de la tirer illico du bourbier
dans lequel elle s'enlise.
Il s'y emploie bon an mal an, avec l'aide de son beau-père que la
dégradation des relations entre "ses femmes" tracasse de plus en plus.
—
Elles sont aussi intolérantes l'une que l'autre, lui explique ce
dernier, dans l'un de leurs rares moments de tête-à-tête. Comment
veux-tu qu'elles s'entendent ? Chacune s'enferre dans ses convictions,
en refusant d'office le moindre compromis. Suzanne en rajoute dans le
côté martyre-dévouée-incomprise, Rose nous rejoue la séquence de
l'adolescente en crise, et les gosses se retrouvent tiraillés entre les
deux. Ça ne peut pas durer.
—
Que faire, alors ? se désole Amir. Rien n'est prêt, à Paris, pour les
recevoir, et j'ai du travail par-dessus la tête. Si seulement Rose
voulait faire un effort, tenir encore un mois ou deux.
— Ça, n'y compte pas. Je… Oh, nom d'un chien !
D'un
coup, les traits de Marcel se sont illuminés. Archimède devait avoir
cette expression lorsqu'il jaillit de sa baignoire en criant : « Euréka
».
— Qu'est-ce qu'il y a ? s'empresse son gendre.
— Je viens peut-être de trouver LA solution.
Il marque un temps d'arrêt pour ménager le suspense puis, tel le prestidigitateur sortant un lapin de son chapeau :
— La tante Ida, énonce-t-il, en détachant glorieusement chaque syllabe.
— Ça, ce n'est pas une mauvaise idée.
C'en
est même une excellente ! À peine émise, la proposition suscite
l'enthousiasme de Rose. Suzanne, en revanche, est plus mitigée.
— Ma sœur vieillit, elle a du diabète, objecte-t-elle. On ne peut pas lui imposer une charge pareille.
— Je l'aiderai, dit Rose.
Petit ricanement incrédule :
— Mouais… je t'ai vue à l'œuvre. Tu balsines*, tu brasses de l'air, mais pour ce qui est de poigner* dans l'ouvrage…
— Forcément, tu me rabroues sans cesse sous prétexte que je fais tout de travers.
— Si vous appeliez Ida au lieu de vous chamailler ? s'interpose Marcel. C'est à elle de décider, saperlipopette !
L'intéressée,
consultée, applaudit. Elle se sent si seule, depuis son veuvage… La
présence de sa nièce et de ses petits-neveux mettra un peu d'animation
dans sa "grande baraque vide"!
Lors,
en dépit des réserves de Suzanne — qui supporte mal d'être dépossédée
de sa descendance, fût-ce au profit de sa propre sœur —, Rose boucle ses
bagages.
— Nous t'emmènerons lundi à Liège, après avoir reconduit ton mari à la gare, décrète Marcel.
— Tu n'ouvres pas le magasin, ce jour-là ?
— Non, c'est le 1er mai.
Ainsi
font-ils. De sorte qu'en dépit du départ d'Amir, de l'avenir incertain
et de l'amertume des huit derniers jours, Rose a le sourire. Un sourire
un peu fragile, il est vrai. Légèrement crispé. Mais qu'elle gardera,
plaqué sur ses traits, jusqu'à destination.
* Balsiner : traînailler
* Poigner dans l'ouvrage : foncer dans l'ouvrage
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