AH ! PARIS !
Dès lors commence — si Rose s'attendait à ça ! — un bras de fer entre
eux deux. Parce que, lorsqu'Amir parle de s'installer en Europe, ce ne
sont pas des propos en l'air.
— Tu comprends, ici, je n'ai pas d'avenir, argumente-t-il. Il n'y a
aucun débouché, aucune carrière possible. Tu me vois continuer les
petits concerts dans les hôtels jusqu'à la fin de mes jours, franchement
? Tandis qu'à Paris ! Ah, Paris ! C'est de là que tout part, là que
tout aboutit.
— Mais on ne connaît personne, proteste Rose. Ici, au moins, on a une
famille, une maison... On existe, tu comprends ?
— On n'existe pas, on stagne. Ton roman, quand tu l'auras fini, qui le
publiera, hein ? Tu ne trouveras même pas une maison d'édition digne de
ce nom dans tout le Moyen-Orient.
D'un geste désinvolte, Rose réfute l'argument.
— Il y a plus important que la publication d'un roman, figure-toi. Omane et Rachad ont besoin de nous.
— Ils n'ont qu'à émigrer, eux aussi.
— Quitter Zouk, dans leur situation ? Tu rigoles ?
— Ça ne leur ferait pas de mal, pourtant. Et d'un, Nadège serait mieux
soignée en France que partout ailleurs ; et de deux, Omane, avec sa
voix, ferait un malheur à l'Opéra ; et de trois, question galeries de
peinture, le Quartier Latin, c'est autre chose que la rue Hamra.
Rose lève les yeux au ciel.
— Tu nages en pleine utopie, mon pauvre vieux. Primo, Omane
n'acceptera jamais qu'on "soigne" sa fille : le corps médical, depuis
l'accident de la maternité, elle ne peut plus le sentir, alors, la
France ou le Liban, pour elle, c'est du pareil au même. Deuzio, le
succès, elle s'en fiche : elle a décidé de se consacrer uniquement à
Nadège, et s'il lui arrive encore de chanter, ce n'est que pour elle.
Troizio, si tu voyais les dernières "œuvres" de ton frère, tu ne le
pousserais certainement pas à les exposer.
— Et la situation politique, tu y as pensé ? Le Moyen-Orient est une
poudrière. Le jour où ça pètera, Beyrouth sera en première ligne.
—Beyrouth, peut-être, mais pas Zouk. Zouk est un havre de paix, et quoi qu'il arrive, je veux y rester.
Cette conclusion clôt— provisoirement — le débat.
Jusqu'à ce qu'Amir revienne à la charge.
Et, se heurtant à un "non" sans appel, finisse, de guerre lasse, par
prendre le problème à rebours en tentant de convaincre son frère.
Plus perméable que Rose, en fait. Ou, du moins, plus sensible au chant des sirènes…
Ne reste à Rose et Omane qu'une seule alternative : faire front
commun. D’où le titre du chapitre suivant : "La guerre des épouses".
Bonus : un commentaire d'anthologie de Gudule à la première parution :
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