LA DISCRÈTE
Nous
passions tout notre temps libre, soit au bord de la rivière, soit sur
les espaces verts du village — l’un en particulier, le petit St Roch,
d’où l’on apercevait la crête des Pyrénées.
Souvent,
je comparais ces charmes estivaux aux solitudes figées de l’inquiétant
mois de juin. Je me revoyais, assise à cette même place, regardant les
enfants courir avec les chiens, tandis que Castor jouait « Natalia » de
Moustaki à la guitare. Mélanie, Barbara et Brigitte, adossées au rempart,
bavardaient joyeusement. Claude allait et venait, son appareil photo en
bandoulière ; Olivier débouchait une bouteille de rosé ; nous
grignotions des fruits, des morceaux de concombre, du fromage de brebis,
en admirant le coucher de soleil. Et je me disais : « Rien de tout ça
n’est vrai. On fait semblant.
On tourne un film, dans un décor, ma foi, assez joli, et avec une
musique parfaitement adaptée. Quand il sortira, j’irai le voir.
Peut-être même achèterai-je le DVD — à moins que je n’arrive à le
télécharger. »
Ces souvenirs éprouvants étaient déjà loin, heureusement. J’étais,
comme on dit, retombée sur mes pattes. Une fois le cauchemar dissipé,
l’univers, ô joie, avait recouvré son harmonie.
De
temps à autre, pourtant, les ficelles de l’exécrable scénar
réapparaissaient en filigrane. Mais je flairais le piège et restais
prudemment en retrait. Ainsi, lorsque Mme Siniac, échappant à la
vigilance de son mari et de son fils, se jeta dans le vide — au petit St
Roch, précisément —, pour fuir la maladie d’Alzheimer qui la rongeait,
ne me sentis-je pas concernée. Tout au plus l’admirai-je, et pour
cause : bien que cette idée m’ait effleurée à maintes reprises (et tenue
éveillée durant des nuits entières), j’eusse été incapable de la mettre
en pratique. Et à la réflexion, tant mieux. Car si mon but était de
partir en loucedé sans déranger personne, ce n’était certes pas le moyen
idéal. Dix camions de pompiers et une escouade de flics s’avérèrent
nécessaires pour la récupérer, toute démantibulée, dans une
anfractuosité rocheuse, sous les yeux de sa famille et de ses voisins en
larmes.
Ce
soir-là, dans le fracas des sirènes et les éclairs de gyrophares, je
bénis ma couardise, et remerciai mentalement cette pauvre Mme Siniac.
Son départ en fanfare m’avait remis les yeux en face des trous. Nulle
pulsion suicidaire ne m’a plus effleurée, depuis.
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