mercredi 23 novembre 2016

LE BEL ÉTÉ 43






















                                                         LA DISCRÈTE

Nous passions tout notre temps libre, soit au bord de la rivière, soit sur les espaces verts du village — l’un en particulier, le petit St Roch, d’où l’on apercevait la crête des Pyrénées.
Souvent, je comparais ces charmes estivaux aux solitudes figées de l’inquiétant mois de juin. Je me revoyais, assise à cette même place, regardant les enfants courir avec les chiens, tandis que Castor jouait « Natalia » de Moustaki à la guitare. Mélanie, Barbara et Brigitte, adossées au rempart,  bavardaient  joyeusement. Claude allait et venait, son appareil photo en bandoulière ; Olivier débouchait une bouteille de rosé ; nous grignotions des fruits, des morceaux de concombre, du fromage de brebis, en admirant le coucher de soleil. Et je me disais : « Rien de tout ça n’est vrai. On fait semblant. On tourne un film,  dans un décor, ma foi, assez joli, et avec une musique parfaitement adaptée. Quand il sortira, j’irai le voir. Peut-être même achèterai-je le DVD — à moins que je n’arrive à le télécharger. »
         Ces souvenirs éprouvants étaient déjà loin, heureusement. J’étais, comme on dit, retombée sur mes pattes. Une fois le cauchemar dissipé, l’univers, ô joie,  avait recouvré son harmonie. 
De temps à autre, pourtant, les ficelles de l’exécrable scénar réapparaissaient en filigrane. Mais je flairais le piège et restais prudemment en retrait. Ainsi, lorsque Mme Siniac,  échappant à la vigilance de son mari et de son fils, se jeta dans le vide — au petit St Roch, précisément —,  pour fuir la maladie d’Alzheimer qui la rongeait, ne me sentis-je pas concernée.  Tout au plus l’admirai-je, et pour cause : bien que cette idée m’ait effleurée à maintes reprises (et tenue éveillée durant des nuits entières), j’eusse été incapable de la mettre en pratique. Et à la réflexion, tant mieux. Car si mon but était de partir en loucedé sans déranger personne, ce n’était certes pas le moyen idéal. Dix camions de pompiers et une escouade de flics s’avérèrent nécessaires pour la récupérer, toute démantibulée, dans une anfractuosité rocheuse, sous les yeux de sa famille et de ses voisins en larmes.

Ce soir-là, dans le fracas des sirènes et les éclairs de gyrophares, je  bénis ma couardise, et remerciai mentalement cette pauvre Mme Siniac. Son départ en fanfare m’avait remis les yeux en face des trous. Nulle pulsion suicidaire ne m’a plus effleurée, depuis.




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