mercredi 23 novembre 2016

LE BEL ÉTÉ 42




















                              MON CANCER S’APPELLE GUILLAUME

Le jour où un médecin me parla de mon « gliome » ­, je compris « Guillaume » et lui fis répéter. Non seulement parce que ça m’évoquait « Le Bruit des glaçons » de Bertrand Blier, mais surtout parce que c’était le nom du gars qui m’avait pris la tête (!) durant une bonne partie de mon adolescence. Bien que de cinq ans mon aîné, il avait jeté son dévolu sur moi et  m’épiait sans cesse, de la loge de concierge où vivaient ses parents. Sortais-je dans la rue ? Il en faisait autant. Allais-je à l’épicerie, à la boulangerie, au pressing ? Non content de me suivre, il m’y précédait, comme si mes intentions étaient inscrites sur ma figure. Me rendais-je à l’école ? Il m’y accompagnait — sans oser me parler, car ma mère le lui avait formellement défendu.
— Méfie-toi de cet énergumène, me répétait-elle sans cesse. C’est de la sale engeance !   
Son jugement lapidaire était dû, selon moi,  au physique ingrat de l’engeance en question. Imaginez un grand escogriffe  affligé, quelle que soit la saison, d’un rhume qui engluait ses narines de morve jaunâtre, et qu’il essuyait d’un revers de manche en reniflant bruyamment…  Avec le recul, je pense qu’il  devait souffrir de mucoviscidose ou un truc dans le genre, mais à l’époque, on assimilait cette maladie encore mal connue à un rhume chronique…
        
         Ah, que n’ai-je transgressé l’interdit maternel et balayé mes propres préjugés pour m’expliquer une fois pour toutes avec Guillaume ! Une bonne discussion aurait sans doute mis fin, clairement et en douceur,  à ce harcèlement qui m’horripilait tant.
         Au lieu de ça, j’eus la sottise de m’en plaindre à mes parents qui caftèrent aussitôt aux siens. Que leur dirent-ils ? Mystère. Mais à dater de ce jour, Guillaume disparut de la circulation. Tout le monde se demanda ce qu’il était devenu (à commencer par moi) , jusqu’au dimanche de Pâques où nous l’aperçûmes à la messe. L’église étant bondée, il ne restait plus le moindre prie-Dieu libre, sauf un, juste à côté de lui. Ma mère m’intima l’ordre de m’y agenouiller ; Guillaume en profita pour me glisser à l’oreille  :
Ne t’inquiète pas, va, je ne t’embêterai plus : je suis pensionnaire à Saint Léonard.
Je ne pus m’empêcher de frémir : cet établissement, tenu par des prêtres, avait une déplorable réputation. C’était  une espèce de « maison de redressement  », où étaient incarcérés, à la demande de leurs familles, des jeunes gens difficiles. Le bruit courait qu’il s’y passait des choses horribles… 
              — Mais… pourquoi t’es là-bas ? m’étranglai-je.  Qu’est-ce que t’as fait de mal ?
              Il me décocha un regard de biais.
— Ton père nous a menacés de porter plainte si je m’approchais encore de toi, et comme on ne veut pas d’histoires…
Je n’ai jamais revu Guillaume, car, six mois plus tard, nous déménagions. Mais par la suite, je n’ai plus pensé à lui qu’avec une boule de remords au fond de la gorge.




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