samedi 19 novembre 2016

LE BEL ÉTÉ 39







                                                  









                                                LA POUPÉE AUX ARAIGNÉES
        

         Le départ d’Olivier et Brigitte me rendit une autonomie que je croyais avoir perdue. En l’absence de ma belle-fille, il fallait bien que quelqu’un s’occupe de la maison, n’est-ce pas ? Je me réappropriai donc les lieux par un rangement en profondeur ; je  recommençai à cuisiner, à faire les courses, à payer les factures, à répondre au courrier en retard — tout cela épaulée par  Castor qui, comprenant d’instinct mes besoins, m’offrait son aide sans pour autant me l’imposer.
         Parallèlement débutèrent des séances de radiothérapie, nous imposant un aller-retour quotidien à Albi — c’est-à dire plus de cent bornes par jour. Castor, selon son habitude, prit la chose avec bonhomie. Ainsi le personnel de la polyclinique vit–il se pointer, tous les après-midi, un couple de vieux amoureux dont la bonne humeur allégeait l’atmosphère d’une salle d’attente, ma foi, légitimement morose.
         Vu l’état de mon crâne, bosselé et couturé d’une part, fortement dégarni de l’autre, j’avais adopté le look casquette-salopette qui, bien que peu flatteur, avait le mérite d’être marrant. Certes, Castor m’eût préférée plus féminine, mais vu la conjoncture, ces critères n’étaient pas de mise. Les vieilles Barbies à moitié chauves en robes coquines, merci bien !
         Mon image reflétée par la glace me ramenait souvent à Martine, une poupée d’avant-guerre en carton bouilli, ayant appartenu à ma marraine. Les rares mèches encore implantées dans sa calotte crânienne — par ailleurs amovible — me servaient à faire pivoter son scalp, ce dont je ne me privais guère, et pour cause : une araignée  avait élu domicile dans sa tête. Elle s’était même délestée de trois gros œufs blancs à hauteur des  yeux, dont le système d’ouverture et de fermeture ne fonctionnait plus depuis belle lurette. Je suivais avec un intérêt mâtiné de répugnance l’évolution du phénomène, qui semble, avec le recul, avoir influencé  bon nombre de mes fantasmes. Si j’ai écrit, plus tard, « La poupée aux yeux vivants » et « la petite fille aux araignées », n’est-ce pas en souvenir de mes émois d’alors ? Et le rêve récurrent dont je parlais plus haut ne fut-il pas la conséquence directe de cette ponte saugrenue ?




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