mardi 8 novembre 2016
LE BEL ÉTÉ 27
DU CÔTÉ DES CHÉRUBINS
Cousin Jean, âgé de trois semaines, était « monté au ciel » la veille de ma naissance. De sorte que le télégramme de félicitations envoyé à ma mère par son frère et sa belle-sœur fut libellé comme suit : « Petit ange Jean nous a quittés hier stop bienvenue à petit ange Anne »
La similitude de dates qui faisait de moi, en quelque sorte, la remplaçante du disparu, me troubla longtemps. Et comme j’étais curieuse, je n’eus de cesse de découvrir les causes de ce décès qui me touchait de si près. Mais mes questions se heurtèrent aux fantasmagories et aux superstitions de mon entourage. Selon certaines sources, le nourrisson devait sa mort prématurée à la maladresse d’une bonniche indigène qui l’aurait fait tomber de la table à langer. Détail horrible : la chute, en déplaçant une vertèbre cervicale, aurait bouché le canal rachidien, provoquant une hydrocéphalie dont la description me transissait d’effroi. De sorte que non content d’être un ange à grosse tête, Jean était également un monstre à petites ailes, ce qui, tout bien pesé, ne valait guère mieux.
Une autre version incriminait la quinine dont mon oncle et ma tante, qui vivaient dans les colonies, faisaient un usage intensif. Selon Le Dictionnaire médical du ménage moderne que je m’empressai de consulter, cette saine habitude, censée préserver les organismes européens de maladies telles que la malaria, la fièvre jaune et le béribéri, était à l’origine de nombreuses malformations congénitales.
Il y avait également l’option « sorcellerie ». digne des meilleurs passages de Tintin au Congo. Celle-là n’était abordée qu’à l’issue d’un repas bien arrosé et généralement à voix basse. Les mots « envoûtement », « magie », « malédiction », « maléfices » couraient de bouche en bouche telles des obscénités, et l’on hésitait à les prononcer tant ils étaient chargés de paganisme barbare.
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