LES PITIÉS INTERDITES
J’ai pu constater une chose surprenante : les personnes qui reçoivent en même temps une bonne et une mauvaise nouvelle sont si décontenancées qu’elles zappent la mauvaise pour focaliser sur la bonne. Du coup, la pilule passe nettement mieux. Ça déconnecte le pathos pour laisser place à un sourire, voire à des félicitations. Ayant expérimenté avec succès cette méthode, je l’adoptai sans hésiter. Dès lors, j’annonçai systématiquement : « Il m’arrive plein de choses, en ce moment : on m’a découvert une tumeur au cerveau et je suis tombée amoureuse ». De la sorte, je n’eus plus à subir ni lamentations ni regards apitoyés, et, par ricochet, l’on m’épargna aussi les jugements malveillants. Ceux que mon apparente faculté à rebondir choquait remballèrent vite fait leurs critiques — histoire de ne pas s’appesantir sur mon état de santé, je suppose — et les autres, les plus nombreux, se réjouirent pour moi. Combien de fois m’a-t-on dit, sans une once d’ironie : « Tu en as, de la chance ! », (ce qui était également mon avis, puisque le cadeau du destin contrecarrait brillamment sa vacherie.)
Autre cadeau et non des moindres : l’été s’était enfin installé, et avec lui, une sensation de vacances qui vous mettait le cœur en fête. Comment, dans ces conditions, céder à la déprime, au désarroi, bref à l’auto-dévastation dont s’accompagne d’ordinaire la maladie ?
— Qu’est-ce que je deviendrais si tu n’étais pas là ? répétais-je souvent à Castor.
— Tu te battrais, répondait-il.
Me battre ? Toute seule ? Jamais je n’en aurais eu la force — en dépit
de tout ce qui donnait un sens à ma vie, à commencer par mes enfants.
Me battre ? Pour quoi ? Quelle perspective ? Quel avenir désespérant ? Quelle déchéance programmée ?
Me battre ? Pour n’être plus, en définitive, qu’un boulet ?
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