jeudi 17 novembre 2016

LE BEL ÉTÉ 37





















                                                                       REMAKE


         Une autre question me hantait, à laquelle, cette fois, aucun médecin — fût-il surdiplômé et ultra-compétent —, ne pouvait répondre : c’était « pourquoi ? ».
         Pourquoi justement cette maladie-là, à ce moment précis et dans ces circonstances ?
         La première raison qui me venait à l’esprit était, bien sûr, la culpabilité.  Une autopunition en bonne et due forme, sanctionnant férocement cette transgression  suprême : rêver d’amour comme une adolescente, trois mois à peine après la mort de mon conjoint.
         Mon amie Elsa avait une variante : c’était, selon elle, un moyen de pression exercé de ma part sur tout le village — pour qui Sylvain et moi formions une entité indissociable —,  afin de lui imposer mon nouveau compagnon. .
         — Ce qui t’est arrivé nous a tellement touchés, concluait-elle, que du coup, ton changement de partenaire ne choque personne. Au contraire, tout le monde se réjouit pour toi. Bien joué, ma grande !
         Quoique légèrement tirée par les cheveux, l’explication me paraissait intéressante. Je lui en préférai néanmoins une autre, plus plausible à mes yeux : n’avais-je pas voulu, sans en avoir conscience,  aller au bout du bout de l’histoire, en partageant avec Sylvain, non seulement les affres de sa maladie, mais sa maladie elle-même ?  (Un peu comme ces saintes qui soignaient les lépreux en leur léchant les plaies afin de s’identifier complètement à eux, sublimant ainsi la notion de sacrifice qui est le substrat du masochisme chrétien. «  Il n’y a pas de plus grande preuve d’amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime », me serinait ma mère, en me montrant la croix.)
         — Heureusement que Sylvain est mort avant de savoir que toi aussi, tu étais atteinte du même mal, me disait souvent Mélanie. Ça l’aurait tellement affecté.  D’autant qu’une tumeur au cerveau, hein, si on y réfléchit, c’est encore pire qu’à l’estomac. Le siège de la personnalité, ça craint encore plus que le siège de la bouffe !
         Selon elle, la présence de Castor à mes côtés dans cette épreuve eût été son plus cher désir, et j’étais assez de cet avis. Qu’avaient-ils comploté tous les deux, pendant que j’avais le dos tourné, par-dessus la frontière séparant le monde des vivants de l’empire des morts ?

         Toujours est-il  que ce remake avait relayé mon deuil  au second plan. Grâce à lui, je m’estimais libérée de mon devoir de mémoire, et apte à m’offrir, sans remords ni réticence, au merveilleux amour qui me tombait dessus si opportunément.




                                       Les poupées vaudouces de Mêo ♥



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