DES RIRES DANS LA NUIT
Allongée dans le noir, j’écoutais le chant des grenouilles montant de la vallée, en fredonnant intérieurement cette chanson de mon enfance :
La nuit est limpide
L’étang est sans ride
Dans le ciel splendide
Luit le croissant d’or
Orme, chêne ou tremble
Nul arbre ne tremble
Au loin le bois semble
Un géant qui dort
Chien ni loup ne quitte
Sa niche ou son gîte
Aucun bruit n’agite
La terre au repos
Alors, dans la vase
Ouvrant en extase
Leurs yeux de topaze
Chantent les crapauds…
Ce fut au milieu du dernier couplet que les rires éclatèrent. Des rires parfaitement incongrus dans le contexte. Je m’arrêtai de respirer. Le village, peuplé en majorité de gens âgés, est toujours silencieux, la nuit…
Dans l’ombre bruissante, ces rires — issus, bien sûr, de mon imagination — semblaient me narguer. Me revinrent en mémoire d’autres hallucinations auditives qui, depuis quelques mois m’assaillaient régulièrement. Une rumeur de pluie, entre autres, qui, même par temps sec, m’emplissait les oreilles dès que je fermais les yeux. Ou la sensation qu’un groupe de personnes discutait sous ma fenêtre sans que je puisse comprendre ni de qui il s’agissait, ni de quoi ils parlaient. Bien qu’intriguée, je n’avais pas vraiment prêté attention à ce brouhaha interne (qui évoquait pour moi le titre d’une autobio de Steven Tyler : « Est-ce que le bruit dans ma tête vous dérange ? »). Mais là, il s’agissait de tout autre chose. Pas d’un murmure diffus qui vous hante presque à votre insu ; plutôt de la bande son d’un cauchemar…
En gros, ces rires surgis de nulle part me donnaient la chair de poule.
Ils m’épouvantaient littéralement.
C’était la quintessence de ma réalité altérée ; la preuve indéniable que je perdais la boule.
J’allais céder à la panique quand la voix de Castor me chuchota à l’oreille :
— On ne s’ennuie pas dans ton village, dis donc !
Ce fut comme une main m’arrachant à l’abîme. Une bouée dans l’océan d’effroi où je sombrais.
—Tu… tu entends, toi aussi ?
— Evidemment : une bamboula pareille, faudrait être sourd !
La reconnaissance me jeta contre lui, et nous fîmes l’amour comme jamais.
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