mercredi 29 juin 2016

ROSE 61

 

                                        L’ORANGERAIE

La rentrée se déroule, ma foi, plutôt bien. En laissant son petit entre des mains mercenaires, Rose verse une larme. Grégoire, non. Il a avisé, dans un coin de la cour, un cheval de bois monté sur ressorts, et n'a de cesse de grimper dessus.
— Profitez-en pour vous sauver, conseille l'institutrice à la mère éplorée. Ça évitera une séparation trop brutale.
Rose, que l'expérience de la crèche a échaudée, juge le conseil avisé. Mais durant toute la matinée, elle a le cœur en berne. Curieusement, les animaux semblent aussi déphasés qu'elle, et même Olivier. La maison est si calme, sans son habitant le plus remuant ; le jardin si triste ! Avec une mélancolie de chien flairant les traces du maître absent, Rose ramasse un jouet, le repose un peu plus loin, replie un vêtement, range une paire de chaussures…
Vivement quatre heures, se dit-elle.
Et, jusqu'au moment d'aller le rechercher, elle tourne en rond. 


                                            *

Le lendemain, ça va déjà mieux, et dans les jours qui suivent, cette amélioration s'accentue encore. Si bien qu'au bout d'une semaine, le rituel du départ et du retour quotidiens ne suscitent plus que de la bonne humeur.
8h10 : Rose installe Olivier dans sa poussette, siffle Julie, accroche le cartable de Grégoire à son dos.
8h15 : ils remontent tous quatre les ruelles ombreuses, Rose poussant le bébé, Grégoire courant devant, Julie sondant le pavé d'une truffe appliquée.
8h20 : ils parviennent en vue d'un verger d'oranges vertes qu'ils traversent — c'est un raccourci. En chemin, Grégoire ramasse un fruit qu'il mangera à la récréation.
8h22 : toujours dans le verger, ils croisent la Bohémienne : une vieille druze tatouée au henné qui se nourrit d'oranges et dit la bonne aventure. Rose lui donne dix piastres, refuse de la laisser lire dans les lignes de sa main. La vieille émet quelques litanies plaintives censées bénir la mère, les enfants et le chien, puis leur fait « au revoir » en agitant ses fichus colorés.
8h25 : le portail de l'école est en vue. Rose embrasse son fiston : « Tu vas tout seul en classe, comme un grand ? » Il détale. Elle le suit des yeux jusqu'à ce qu'il ait franchi la grille, avant de s'en retourner par un autre chemin.



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