L’ORANGERAIE
La
rentrée se déroule, ma foi, plutôt bien. En laissant son petit entre
des mains mercenaires, Rose verse une larme. Grégoire, non. Il a avisé,
dans un coin de la cour, un cheval de bois monté sur ressorts, et n'a de
cesse de grimper dessus.
— Profitez-en pour vous sauver, conseille l'institutrice à la mère éplorée. Ça évitera une séparation trop brutale.
Rose,
que l'expérience de la crèche a échaudée, juge le conseil avisé. Mais
durant toute la matinée, elle a le cœur en berne. Curieusement, les
animaux semblent aussi déphasés qu'elle, et même Olivier. La maison est
si calme, sans son habitant le plus remuant ; le jardin si triste ! Avec
une mélancolie de chien flairant les traces du maître absent, Rose
ramasse un jouet, le repose un peu plus loin, replie un vêtement, range
une paire de chaussures…
— Vivement quatre heures, se dit-elle.
Et, jusqu'au moment d'aller le rechercher, elle tourne en rond.
*
Le
lendemain, ça va déjà mieux, et dans les jours qui suivent, cette
amélioration s'accentue encore. Si bien qu'au bout d'une semaine, le
rituel du départ et du retour quotidiens ne suscitent plus que de la
bonne humeur.
8h10 : Rose installe Olivier dans sa poussette, siffle Julie, accroche le cartable de Grégoire à son dos.
8h15
: ils remontent tous quatre les ruelles ombreuses, Rose poussant le
bébé, Grégoire courant devant, Julie sondant le pavé d'une truffe
appliquée.
8h20
: ils parviennent en vue d'un verger d'oranges vertes qu'ils traversent
— c'est un raccourci. En chemin, Grégoire ramasse un fruit qu'il
mangera à la récréation.
8h22
: toujours dans le verger, ils croisent la Bohémienne : une vieille
druze tatouée au henné qui se nourrit d'oranges et dit la bonne
aventure. Rose lui donne dix piastres, refuse de la laisser lire dans
les lignes de sa main. La vieille émet quelques litanies plaintives
censées bénir la mère, les enfants et le chien, puis leur fait « au
revoir » en agitant ses fichus colorés.
8h25
: le portail de l'école est en vue. Rose embrasse son fiston : « Tu vas
tout seul en classe, comme un grand ? » Il détale. Elle le suit des
yeux jusqu'à ce qu'il ait franchi la grille, avant de s'en retourner par
un autre chemin.
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