— R'ga'de, maman !
Ce
que brandit Grégoire est à peine plus gros qu'une souris. Ça gigote, ça
pousse des cris aigus et c'est plein de poils particulièrement sales.
— Oh, le joli chaton ! s'écrie Rose. Attention, mon chéri, tu le tiens mal.
Elle le lui prend, l'enferme doucement entre ses paumes en conque.
— Petit, petit, petit… qu'il est mignon ! Où l'avez-vous trouvé ?
—
Dans le souk, répond Rachad. Il s'était réfugié sous une voiture ;
d'ailleurs, fais gaffe, il est plein de cambouis. C'est Grégoire qui l'a
vu, il tremblait de froid, de peur. Je me suis dit que si on le
laissait là, il n'en avait plus pour longtemps à vivre. Ça ne t'embête
pas qu'on l'ait ramené ?
— Bien sûr que non, tu as très bien fait, au contraire. N'est-ce pas, mon bichon ?
Le petit garçon, ravi, tend ses menottes.
— Veux le ssat !
— Tout à l'heure. On va d'abord le laver et lui donner à manger… Tu crois qu'il est sevré ?
La question s'adresse à Rachad.
— Je n'en ai pas la moindre idée. Tu sais, moi, les chats…
— On va s'en assurer tout de suite.
Elle
verse un peu de lait dans une soucoupe, la pose devant l'animal.
Celui-ci hésite puis, maladroitement, plonge son museau dans le liquide
et éternue.
—
Il n'y arrive pas, constate Rose, navrée. Je l'aurais parié : à cet
âge-là, ils tètent encore. C'est comme si on essayait de faire boire
Olivier au verre.
Cette pensée lui serre le cœur.
— Comment l'alimenter ? Il risque de mourir de faim. À moins que…
Prise
d'une inspiration subite, elle déboutonne son chemisier et présente aux
minuscules babines son mamelon où perle un peu de lait.
— Oh, Rose, s'indigne Rachad. Tu ne vas quand même pas… C'est dégoûtant !
— Pourquoi ? Un bébé est un bébé, non ? Allez, petit, goûte-moi ce bon niamniam !
Après deux ou trois tentatives infructueuse, la langue rose lape enfin la goutte nourricière.
— À la bonne heure, se réjouit Rose. Vas-y, encore une !
Elle rit.
— Tu es le frère de lait d'Olivier, maintenant.
Puis, s'adressant à son beau-frère, toujours aussi choqué :
— Tu ne connais pas la chanson de Brassens ? Quand Margot dégrafait son corsa-age, pour donner la gougoutte à son chat…
— Toi aussi, tu te mets à confondre la poésie et la réalité ? coupe Rachad d'un ton sec.
Petite moue d'excuse de Rose.
— Des fois, c'est bien, dit-elle. Ça aide à supporter le malheur.
— Des fois, ça l'accentue, répond-il sombrement.
Ex-Cel-lent. Dès le début, j'ai pensé à Brassens. Et Gudule, l'art du dialogue, quelle maîtrise.
RépondreSupprimerJe suis presque sûr que c'est cette chanson qui lui a donné l'idée de faire téter le chaton. Plus l'instinct maternel, plus le goût de la provoc...
SupprimerMa Gudule♥