mercredi 15 juin 2016

ROSE 47

 
                                            AFFRONTEMENTS
                         
         Le 5 juin au matin, des clameurs éclatent dans le village. Rose se précipite à la fenêtre :
         — Qu'est-ce qui se passe ?
Un groupe de villageoises parcourt les rues en poussant des « îhîî » suraigüs.
Chou aïda ? * leur crie Amir.
— La guerre a éclaté, répond l'une d'entre elles en tombant à genoux, les bras au ciel. Allah nous protège !
Allume vite la radio, lance Amir à sa femme.
La voix du présentateur s'élève, âpre, gutturale. « C'est fou, pense Rose en un éclair, à quel point les sonorités de la langue arabe peuvent varier d'une bouche à l'autre. Chez Feirouz, par exemple, elles sont limpides, cristallines. Et là, c'est du concentré de haine. »
         — Qu'est-ce qu'il dit ? interroge-t-elle.
         — Israël a attaqué l'Egypte. Les deux pays se pilonnent
mutuellement.
Rose reçoit la nouvelle comme une gifle.
— Jaffa est touchée ?
Amir, l'oreille contre le poste, lui fait signe de se taire. Et tandis que se poursuivent les informations, une photo entraperçue dans le journal assaille l'esprit de Rose. S’anime. Devient une séquence d’épouvante.

Jaffa, ombre et lumière. Sur un seuil, une vieille femme berce un enfant. Plus loin, un chien, allongé sur le flanc, dort au soleil, dans le parfum des orangers.
A l'horizon passe une silhouette, noire sur le ciel blanc. Celle d'un homme jeune, son Leika à l'épaule. Un homme au nez chaussé de petites lunettes rondes, à la John Lennon…
         Soudain, un bruit de moteur troue l'air léger, et s'amplifie, jusqu'à devenir assourdissant. Le jeune homme lève la tête, saisit son appareil. Une déflagration interrompt son geste. Autour de lui, tout vole en éclats : les arbres, les maisons, la ligne d'horizon. Un geyser de feu déchiquette la vieille, l'enfant et le chien. Tandis que les avions rasent le paysage dévasté, le photographe court, l'échine ployée, à la recherche d'un abri. Trop tard : une nouvelle explosion le fauche en chemin. De lui, ne restent plus, quand la fumée se dissipe, que des membres éparpillés parmi les ruines. Et un Leika, propulsé dans l'espace par le souffle mortel, qui retombe en tournoyant dans un nuage de poussière...

— Les petits ! articule Rose, bondissant vers Grégoire comme si les événements qu'elle vient d'évoquer n'attendaient qu'une seconde d’inattention pour se déclencher.
Elle le prend dans ses bras, l'embrasse fougueusement.
— C'est effrayant, commente Amir en éteignant le poste. Je ne voudrais pas être israélien, à l'heure qu'il est. Tous les pays arabes vont leur mettre la pâtée.
Pauvre gens, gémit Rose.
Amir approuve d'un hochement de tête.
— Ah, ça, ils n'ont pas une position très confortable. Mais c'est leur faute, aussi.  Ils n'avaient qu'à se tenir tranquilles.
Qui va gagner, à ton avis ?
— Tu le demandes ? Comme c'est parti, Israël sera bientôt rayé de la carte.  Ce qui ne sera pas un mal pour les Palestiniens, remarque : eux aussi ont été éjectés de leur pays.
— Moi, je suis toujours du côté du plus faible, dit Rose. Jusque maintenant, j'étais plutôt pro-palestinienne, mais si tout le monde s'en prend aux Juifs, alors, je serai pro-juive.
Et s'ils nous bombardent ?
Rose a un haut-le-corps.
Il y a des risques, tu crois ?
Possible.
Elle serre Grégoire contre elle.
 — Alors, je ne serai plus pro-personne ! siffle-t-elle farouchement.

* Chou aïda ? : Qu'est-ce que c'est ?


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