CAMPING
Ce n'est pas tombé dans l'oreille d'une sourde, si bien que, le soir même :
— Ça te plairait, une journée à la mer ? lance Rose à son mari.
Réaction mitigée :
— Euh… je t'avoue que faire de l'escalade avec les deux moutards et tout le fourbi…
— Qui te parle de ça ? On va dans un camping parfaitement équipé, tenu par des gens adorables.
Et de lui raconter sa fameuse rencontre et la proposition qui a suivi.
—
On en profitera pour faire des photos et une interview. Au moins, ce
papier-là, Alexandre Hélou ne pourra pas me le refuser. D'autant que je
rebondirai sur le conte de Michèle, qui est quand même la grande
gagnante du Coin des petits. C'est d'ailleurs pour ça que je ne veux pas trop tarder : il faut battre le fer tant qu'il est chaud…(elle pouffe) Pour une fois, je suis d'accord avec ma mère.
Dans
ces conditions — et si, en plus, il y a un article à la clé — Amir n'a
aucune objection. De sorte que le lendemain, sitôt le petit déjeuner
avalé, toute la famille embarque dans la Volvo, et en avant !
Amchit est un endroit charmant, situé le long de la côte, parmi les lauriers roses et les oliviers.
— Là, regarde, au carrefour, il y a un panneau ! s'écrie Rose.
La grossière plaque de bois (un camping
barbouillé à la va-vite, assorti d'une flèche) indique une petite route
en lacet, descendant à pic vers la mer. Ils l'empruntent cahin-caha, et
se retrouvent bientôt sur une plate-forme herbeuse où fleurissent
quelques tentes, ainsi que de fort laids bâtiments en béton. La plage
attenante, en revanche, est d'une beauté sauvage à vous couper le
souffle. Un ensemble de rochers aux découpes tourmentées, entourant une
calanque de sable blond, comme la dentelle entoure un berceau.
— Regarde, Grégoire ! s'écrie Rose. Tu vas pouvoir faire des pâtés.
— Tu as pensé à prendre sa pelle et son seau ? s'enquiert Amir.
— Ben… non, mais il se servira de ses doigts, hein, mon bichon.
— Vi, approuve Grégoire. Et ze veux zouer dans l'eau !
— Attends cinq minutes, on va d'abord dire bonjour à madame Sfeir.
La
voiture s'arrête devant ce qui semble être un bureau
d’accueil-épicerie-buvette, flanqué d'une petite terrasse. Alerté par le
bruit du moteur, un homme aux cheveux gris s'avance en souriant.
— Bonjour, dit Rose, Je… madame Sfeir m'a invitée hier, et…
— Vous êtes la journaliste d'Orient-Magazine ?
— Oui, c'est ça.
— Enchanté, je me présente : Antoine Sfeir, le papa de Michèle.
Il se tourne vers une vieille maison de pierre accolée aux vilains bâtiments :
— Arleeette ! Il y a quelqu'un pour toi.
Puis, revenant à ses invités :
— Asseyez-vous à une table, je vous en prie. Qu'est-ce que je vous sers?
La
terrasse, agréablement ombragée, donne sur le large. Des ventilateurs
placés aux quatre coins dispensent une brise rafraîchissante. Rose
s'empresse d'y installer ses enfants, qui ont eu très chaud en voiture.
Un biberon d'eau pour l'un, une orange pressée pour l'autre...
Arlette Sfeir les rejoint, quelques instants plus tard. Congratulations d'usage.
— Je suis ravie que vous ayez pu venir. Quel dommage que Michèle soit chez sa grand-mère !
— Ze veux zouer dans l'eau, re-réclame Grégoire qui, depuis un moment, donne des signes d'impatience.
— Tout à l'heure, mon trésor. En attendant, va t'amuser sur l'herbe. Mais ne t'éloigne pas, hein !
La
conversation s'engage. On parle de tout, de rien — de soi
essentiellement. Rose apprend de la sorte que son hôtesse, paraplégique
suite à un accident de la route dans son enfance, a découvert le Liban
au cours d'un voyage organisé.
— C'est là que vous vous êtes connus, votre mari et vous ?
—
Exactement. Tony était le conducteur du car. Comme rien n'est prévu
pour les handicapés, dans ce pays, je l'ai mis à contribution. Il me
portait chaque fois que nécessaire.
— Et à force de vous porter, il ne vous a plus lâchée, c'est ça ?
— En quelque sorte. J'avais dix-huit ans, lui vingt-et-un, ce fut le coup de foudre. Je ne suis jamais repartie.
— Un vrai conte de fées, apprécie Rose qui prend des notes.
— Par la suite, l'idée nous est venue de créer cette structure adaptée aux besoins des personnes comme moi.
— Et… ça marche ?
— Pas trop mal.
— J'imagine que, dans les agences de voyage et les guides touristiques, vous… Mon Dieu !
Tout
en parlant, Rose a tourné machinalement la tête pour surveiller son
fils. Et ce qu'elle aperçoit lui arrache un cri. Un énorme chien noir
rôde autour de l'enfant.
— Ne bouge pas ! la retient Amir. Pas de mouvement brusque, surtout. Tu pourrais l'effrayer.
Il se lève, et très lentement, se dirige vers Grégoire, en susurrant d'une voix feutrée :
— Tout va bien… Tout va bien…
Rose, paralysée de peur, ne le quitte pas des yeux, tandis que, dans son dos, Antoine Sfeir gronde :
— Encore, cette sale bête ! Cette fois, je lui règle son compte. Ces chiens errants sont une véritable plaie.
— Il… il n'est pas à vous ? bredouille Rose.
Elle
aurait dû s'en douter. Les possesseurs d'animaux domestiques sont
rares, au Liban. Chiens et chats vivent et se reproduisent dans la
nature, craignant l'homme et réciproquement.
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