JULIE
Sur le chemin du retour, Rose n'a pas de mots assez durs pour fustiger les Sfeir, qu'elle encensait quelques heures auparavant.
— Ce que tu peux être excessive, lui reproche Amir en riant.
— Je n'aime pas les bourreaux, rétorque-t-elle, la lippe mauvaise.
— Mets-toi cinq minutes à leur place : ils tiennent un camping, pas un chenil.
— C'est ça, défends-les. Je te signale qu'on a, dans notre coffre, une de leurs victimes sauvée in extremis, et…
— Justement, à ce propos, je n'ai pas réagi tout à l'heure parce que tu
m'as pris de court, mais… tu ne comptes pas réellement la garder,
n'est-ce pas ?
Sourire désarmant.
— Euh…
Pas besoin d'en dire plus, Amir a compris.
— Rose, ce n'est pas raisonnable.
Elle, d'une toute petite voix :
— Si le cousin n'en veut pas, on ne peut tout de même pas la leur ramener.
Lui, dans un soupir :
— Pourvu qu'il la prenne.
Et elle, en son for intérieur :
— Pourvu que non !
Le cousin refuse, sous prétexte que Julie — ainsi l'a nommée Rose, allez savoir pourquoi — n'est pas un chien de chasse.
— Désolé, s'excuse-t-il, le nez froncé de dégoût. C'est une question de race, vous comprenez…
—
Pas de problème, répond Rose. Au moins, j'aurai appris quelque chose,
aujourd'hui : les chiens blancs à pois rouge ne chassent pas.
Il
faut reconnaître que Julie a une drôle d'allure, toute badigeonnée
d'éosine. Mais bon : elle était si mal en point que le premier soin de
Rose, en rentrant chez elle, fut de la laver, de ramollir ses croûtes et
de les désinfecter.
— C'est vrai qu'elle ressemble plus à une amanite tue-mouche qu'à un pointer, ajoute-t-elle, imperturbable.
Bref, le jeune homme s'en va, et Rose, soulagée, crie à pleins poumons :
— Ça y est, les mômes, on a un chien !
À
l'usage, Julie va s'avérer être, pour Grégoire, la compagne de jeu
idéale. Douce, joyeuse et d'une patience à toute épreuve, elle ne
renâclera devant aucune de ses fantaisies, se laissant trimballer et
harceler de mille manières sans donner le moindre signe d'agacement. Ses
rapports avec Bébête seront tout aussi courtois, en dépit de la
turbulence du chaton, et Rose trouvera, dans sa présence discrète, une
constante source d'inspiration. Elle gardera d'ailleurs, de leurs longs
tête-tête, une tendresse pour la gent canine dont elle ne se départira
jamais.
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