LA BABY-SITTER
Un soir de mars :
—
Gaby voudrait que tu viennes à la prochaine répétition, déclare Amir.
Il a bien bossé sur la chanson et aimerait avoir ton avis. En plus, il a
des trucs à te montrer.
— Quel genre de trucs ? se méfie Rose.
— Des paroles qu'il a écrites, je crois.
— Ouch !
Elle se mordille les lèvres.
— C'est que… je n'ai personne pour me garder les petits, moi.
— On pourrait peut-être demander à Rachad ? Je l'appelle tout de suite.
Deux minutes plus tard.
— Eh bien ?
— Il n'est pas libre.
— J'en étais sûre. Il nous fuit, lui aussi. Quand je pense à quel point on était liés, avant.
— Quoi qu'il en soit, il faut trouver une baby-sitter. Renseigne-toi à la boulangerie, ils connaissent peut-être quelqu'un.
— Confier mes enfants à une inconnue ? Ça va pas, la tête?
Amir n'insiste pas, mais dans l'après-midi :
— Bonjour, Rose, claironne une voix, par-dessus le mur du jardin.
C'est Mona Aoun, plus pétulante que jamais.
— Bonjour, dit Rose. Je vous offre un café ?
— Avec plaisir.
Les
prémices du printemps reverdissent le jardin, couvrant les arbres de
bourgeons et le gazon de pâquerettes. La terre, gorgée de pluie, se
répand en odeurs sous la caresse d'un soleil encore tiède.
— Ah, si ce temps pouvait durer toute l'année, lance Mona Aoun en s'asseyant sur la terrasse.
Elles papotent un moment, et Rose, en veine de confidences, en vient à évoquer son problème de garde d'enfants.
— Pourquoi cherchez-vous midi à quatorze heures ? s'écrie son interlocutrice. Moi, je serais ravie de vous rendre ce service.
« Un miracle ! », pense Rose.
— Euh…je ne voudrais pas abuser de votre gentillesse, proteste-t-elle mollement. .
— Puisque je vous le propose, c'est que ça me fait plaisir.
— Vous me sauvez la vie.
Tandis
que Rose court téléphoner la bonne nouvelle à son mari, Mona Aoun fait
ses premières armes en tant que nounou. En revenant, notre héroïne la
trouve à genoux sur la terrasse, ramassant les jouets de Grégoire
éparpillés de gauche à droite.
— Laissez, je m'en occupe, proteste-t-elle, toute gênée.
— Ta ta ta ta, allez plutôt vous préparer. Et ne vous tracassez par pour le repas de Grégoire, je lui préparerai de la malhabié*, tous les gosses en raffolent. Avez-vous du lait ?
Il y a quelque chose de si réconfortant dans la manière dont la quadragénaire prend les choses en main, de tellement maternel,
que Rose se sent fondre de reconnaissance. Quelqu'un — une femme forte,
généreuse, compétente — la relaie un moment. La décharge, le temps
qu'elle se détende, du lourd fardeau des astreintes quotidiennes. Bénie
soit-elle.
Presque
à son insu, l'image de la Têta se superpose à celle de Mona Aoun. Le
ciel la doterait-il à nouveau, par faveur extrême, d'une protectrice,
d'un ange gardien ?
— Y a une bouteille entamée au frigo, répond-elle, en grimpant, toute légère, dans sa chambre.
* Malhabié : crème de farine de riz à la fleur d'oranger
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