samedi 11 juin 2016

ROSE 43


                                                  LA FAMILLE IDÉALE

 — Le téléphone sonne ! crie Rose par la fenêtre. Tu décroches, Amir ? Je ne peux pas répondre, je change Olivier.
— OK, bâille Amir, en sautant du hamac.
Cinq minutes plus tard, il monte la retrouver.
— C'était mon frère. Il a besoin de nous.
— Omane ? interroge Rose, le cœur battant.
— Non, rien à voir. C'est à propos de boulot. Un de ses collègues de l'Hebdo — Georges Lahoud, tu connais ? …
— Non.
— Peu importe. Georges Lahoud, donc, prépare un dossier sur "La famille idéale". Des photos de Rachad, Omane et leur bébé devaient l'illustrer, c'était prévu bien avant l'accouchement. Comme le journaliste s'est adressé au plus grand photographe de Beyrouth, le rendez-vous était pris depuis des mois. Et maintenant, bien sûr, Omane ne veut plus en entendre parler. Tu devines la suite…
— Rachad nous demande de les remplacer, c'est ça ?
— Voilà, t'as tout compris. Qu'en penses-tu ?
— Pourquoi pas ? J'enverrai l'article à mes parents, ils seront tout fiers. En plus, c'est assez rigolo de se retrouver en vedette dans le journal qui m'a jetée.
— Tu es d'accord, alors ?
— Heinhein !
— Tant mieux, parce que j'ai accepté.
— On y va quand ?
— Cet après-midi. J'ai prévenu Gaby que je serais en retard à la répète. Il râlait mais tant pis : ce n'est pas tous les jours qu'on pose pour la postérité.

Le temps de se faire beaux, et ils sont à pied d'œuvre. Rose est excitée comme une puce.
« La famille idéale, se répète-t-elle sur tous les tons. Nous allons représenter la famille idéale. »
Il y a, dans ce retournement de situation, une ironie du sort revancharde qui l'enchante. Une sorte de pied-de-nez à la vie. Avec une jubilation qui augmente de minute en minute, elle se remémore le chemin parcouru par la petite fille-mère bruxelloise — chemin jonché d'humiliations, de ricanements méprisants, de claques-dans-la-gueule — et débouchant soudain, pouf ! sur cette consécration suprême : incarner publiquement les fondements mêmes de la société.
— Zénab va en avaler son dentier, glousse-t-elle.
         Dans son esprit, cette réflexion résume à merveille tout ce qui précède.



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