lundi 18 juillet 2016

ROSE 80

 
                                                             L’AVEU

           Dès lors, Rose redouble de gentillesse envers cette femme qu'elle a si mal jugée.
           Cependant, la nuit suivante :
Rose…
Mona ? Tu rêves encore ou tu es éveillée ?
Je suis éveillée, et… il faut que je t'avoue quelque chose…
… ?
— Je t'ai menti… Ce n'est pas de l'amour maternel que j'éprouve envers toi, c'est… de l'amour tout court….
Rose avale sa salive, ce qui provoque un «gloups»  incongru — qu'elle est d'ailleurs seule à entendre.
— Les hommes ne m'ont jamais intéressée, poursuit la voix chuchotante, dans le noir. Ils ne savent pas aimer. Ils mutilent, ils possèdent, ils asservissent, mais ils ignorent tout de la tendresse et du don de soi. Leurs baisers sont des morsures, leurs caresses, des coups…
Oh, là, tu exagères, proteste Rose. Amir…
— Amir est comme les autres : il te délaisse, pour la gloire factice d'une carrière, au moment où tu as le plus besoin de lui. Je me trompe ? 
Ben…
— Il est aussi indigne de ton amour que mon mari l'était du mien. Un dévouement absolu et unilatéral, voilà ce qu'ils attendant de nous, ces montagnes d'égoïsme. Nous leur servons de bonnes, d'infirmières —ou de souffre-douleur. Nous tenons leur ménage, préparons leurs repas, élevons leurs enfants, écoutons leurs doléances, et au bout du compte, que nous reste-t-il ? Des rides, le sentiment d'avoir gaspillé nos plus belles années, et un cœur sec comme le désert…
Re-gloups.
Mais… aujourd'hui, tu es libre.
— Et elle me sert à quoi, ma liberté, tu peux me le dire ? J'ai quarante-cinq ans, je n'ai jamais connu le plaisir, et mon univers se réduit à quatre murs où je vieillis peu à peu en attendant la mort. Charmante perspective, non ? Autant vaudrait en finir tout de suite. 
Arrête ! Tu n'as pas le droit de dire ça.
— Et pourquoi donc ? Pourquoi ne pas regarder les choses en face ? Mon destin n'est qu'une lente agonie, à moins que…
À moins que quoi ?
… que tu me rendes le goût de vivre.
Silence. Rose donnerait n'importe quoi pour disparaître. À défaut, elle arrête de respirer, histoire d'être moins là . Et ferme les yeux, selon la bonne vieille politique de l'autruche.
         Quand elle les rouvre, le visage de Mona n'est qu'à quelques centimètres du sien.
Rose… Ma Rose…
Comme en rêve, des bras l'enlacent, deux lèvres s'avancent vers les siennes. Un souffle se mêle à son souffle. Et elle, comme dans les rêves — dans les cauchemars, plutôt — demeure paralysée devant l'inéluctable.
         Un baiser passionné lui rend brutalement le sens des réalités.
Eeeeh ! crie-t-elle, en sautant sur ses pieds.
D'un bond, elle est dans la chambre des enfants dont elle claque la porte — au risque de les éveiller. Adossée au chambranle, le cœur houleux, les jambes en coton, elle s'essuie frénétiquement la bouche.
— Rose, qu'est-ce qui te prend ? entend-elle, à travers la parois. Pourquoi réagis-tu ainsi ? Viens, je vais t'expliquer…
Et elle, crispant les poings :
— Il n'y a rien à expliquer, Mona. Tout est parfaitement clair. Va t'en, s'il te plaît. Rentre chez toi, on discutera de tout ça demain, à tête reposée.
 La réponse de Mona est couverte par les pleurs d'Olivier, dérangé dans son sommeil. Rose s'empresse de le sortir du berceau.
Tttt, c'est tout, mon trésor, c'est tout…
        Elle marche à travers la pièce en lui tapotant le dos et finit, de guerre lasse, par lui donner le sein — ce qui, enfin, le rendort.
Lorsque, l'ayant recouché, elle se décide enfin à regagner sa chambre, Mona est partie. En laissant juste un mot, sur le lit : Pardon.


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