UNE LUEUR DANS LA NUIT
C'est dans l'adversité qu'on reconnaît ses amis, dit l'un des fameux proverbes de Suzanne Vermeer. Une heure plus tard, Mona Aoun débarque. Rose l'accueille comme une bouée de sauvetage, et se jette dans ses bras pour pleurer tout son saoul.
— Ttttt, la réconforte la quadragénaire, en lui tapotant le dos. Aucun homme ne mérite qu'on se mette dans un tel état pour lui.
Peine perdue : le désarroi de Rose s'apparente au déluge.
— J'étais si heureuse, hoquette-t-elle.
— Tu l'es toujours, voyons ! Rien n'a changé : ta maison, tes enfants, ton travail…
— Mais je suis seule, Mona.
— Pour deux mois, ce n'est pas le bout du monde. Et puis, tu m'as, moi !
— Tu es tellement gentille.
—
C'est bien naturel. Allons, passe-toi vite le visage à l'eau, pendant
ce temps-là, je vais nous préparer une petite dînette. D'accord ?
— Je ne sais pas si je pourrai avaler quelque chose.
— Une salade de poivrons avec de la fêta et des olives, ça se mange sans faim.
Rose ébauche un faible sourire. Cette sollicitude la touche au-delà de tout.
— Si je ne t'avais pas… souffle-t-elle.
— Chut ! Yallah*, va t'arranger : tu as du rimmel jusqu'au milieu des joues.
Lorsque
Rose sort de la salle d'eau, la table est mise, Olivier gazouille dans
son parc, un disque d'Oum Khalsoum tourne sur la platine, et, suprême
clémence, un rayon de soleil filtre entre les nuages.
—
J'irai rechercher Grégoire à l'école, si tu veux, propose Mona Aoun,
tandis que Rose — ô prodige ! — attaque le repas improvisé à belles
dents.
— Merci, ça ira. Ne me dorlote pas trop, je pourrais y prendre goût.
— Je n'en demande pas tant, bien que…
Court silence. Rose, surprise, lève les yeux. Rencontre ceux de Mona qui fuient tout aussitôt.
— … ce serait mon vœu plus cher, achève celle-ci d'une voix altérée.
Puis, sans transition :
— Que dirais-tu d'une petite promenade digestive ? L'averse a cessé, profitons-en !
* Yallah : allez, vite, allons. Un mot très utilisé en Arabe.
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