TERREUR NOCTURNE
Rose
se redresse d'un bond, le cœur houleux. Au fait, a-t-elle bien
verrouillé la porte d'entrée ? Quelquefois, si on n'y prend pas garde,
le loquet s'enclenche de travers.
« Il faut que j'aille vérifier, sans quoi, je vais avoir les jetons toute la nuit. »
Mais
pour ça, elle doit repousser les draps qu'elle a enfin réussi à
réchauffer, sortir de sa chambre, descendre l'escalier glacial,
traverser la cuisine (qui n'a pas de rideaux et dont les fenêtres
s'ouvrent, tels deux trous béants, sur le jardin obscur), gagner le
vestibule… En pensée, elle effectue, mètre après mètre, l'éprouvant
itinéraire. Et l'estime au-dessus de ses forces.
Tant
pis, les choses resteront en l'état. Ce serait vraiment une coïncidence
inouïe si, juste aujourd'hui, un rôdeur essayait d'entrer.
Forte
de cette décision, Rose se recroqueville sous ses couvertures, ferme
les yeux. Tend l'oreille vers la double respiration, si rassurante, de
ses enfants, venant de la pièce contiguë toujours ouverte. Et, sursaute à
nouveau.
Cette fois, pas de doute, elle a entendu un bruit bizarre, au rez-de-chaussée.
Couverte
de chair de poule, elle actionne à tâtons la poire de la lampe de
chevet. Mais la lueur tamisée ne dissipe les ténèbres que pour mieux en
accentuer la profondeur. Les zones d'ombre qu'elle génère sont plus
chargées de mystère, encore, que l'obscurité.
Aiguillonnée
par une panique qu'elle sent monter en elle — et qui bientôt, elle le
sait, la submergera —, Rose saute du lit, court jusqu'à l'interrupteur.
La lumière blême du plafonnier inonde la pièce.
— Qui est là ? crie-t-elle, en entrouvrant la porte qui donne sur le palier.
Un frôlement lui répond, suivi du fracas caractéristique d'une chute d'objet.
« Mon Dieu, il y vraiment quelqu'un en bas ! »
D'un
bond, elle fait volte-face et reclaque la porte à laquelle elle
s'adosse. Puis, tout en comprimant les battements désordonnés de son
cœur, elle réfléchit. L'intrus, quel qu'il soit, va forcément monter si
personne ne l'en empêche. Et en haut, qu'y a-t-il ? Ses enfants. Pas question qu'elle les expose à un danger quelconque !
«
Au fait… Julie n'a pas aboyé, réalise-t-elle soudain, une montée
d'adrénaline au ventre. Ce n'est pas normal, ça ! Est-ce que le type
l'aurait… tuée? Ça signifie qu'il est armé. Mais pas d'un révolver,
j'aurais entendu le coup de feu ; d'un couteau, probablement. »
Des titres de faits-divers l'assaillent sans crie gare. Macabre
découverte dans un petit village libanais : une mère et ses deux
enfants, égorgés par un serial-killer. Les victimes baignaient dans leur
sang, au côté de leurs animaux, eux aussi sauvagement dépecés. « On a
entendu leurs hurlements d'agonie, mais on n'a pas osé intervenir »,
avouent les voisins…
—
Tu arrêtes tes délires ? se tance-t-elle tout haut. Au lieu de te
laisser mener par ton imagination, prends-toi par la main et va voir ce
que c'est. Allez, du cran ! Montre que tu es un homme !
Elle
cherche des yeux de quoi se défendre, avise la vieille guitare d'Amir,
posée contre le mur, l'attrape par le manche, et, dans un sursaut de
courage dont elle ne se serait pas crue capable cinq minutes plus tôt,
descend affronter l'indicible.
Tandis
qu'elle pénètre dans la cuisine, l'instrument de musique brandi devant
elle comme une massue, un nouveau bruit éclate, tout proche, et…
… une boule de poil, lancée à pleine vitesse, lui atterrit dans les mollets.
— Bébête ? ânonne-t-elle, en tournant le bouton électrique. C'est… c'est toi qui fais tout ce raffut ?
Il semblerait : une tasse éclatée sur le carrelage en atteste.
Déjà, le chaton revient à la charge. Elle le chope par la peau du cou.
— Tu as le diable au corps, ma parole ! Si tu savais quelles sueurs froides tu m'as donnée, petit imbécile !
En
entendant sa voix, Julie, qui somnolait dans son panier, cligne des
paupières et s'ébroue, avant de venir se frotter contre ses jambes en
couinant. Une séance de caresses s'ensuit, que Rose interrompt pour
aller tester la fermeture de la porte (parfaitement hermétique). Mais
comme elle s'apprête à remonter dans sa chambre, les deux animaux lui
barrent le passage.
— Vous avez envie de rester avec moi, c'est ça ? comprend-elle. Ah, si tout le monde réagissait comme vous…
Et, les emportant chacun sous un bras, elle regagne son lit où elle les fourre d'autorité.
— Allez, hop ! Au dodo !
Elle
se glisse entre eux et alors, alors seulement, sous la protection de
ceux que Colette appelait "les petits dieux velus", elle s'endort.
Au
réveil, Grégoire, qui est toujours le premier debout, les trouvera tous
trois ronflant en chœur, blottis les uns contre les autre. Sans
hésiter, il les rejoindra, se creusera une bonne petite place dans le
douillet amalgame de corps, se rendormira… et n'ira pas en classe pour
cause de grasse matinée.
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