LE TEMPS DES ANGOISSES
Durant
les jours qui suivent, Amir ne tient pas en place. Outre les formalités
inhérentes au voyage — passeport, visas, billets, bagages —, une tonne
d'occupations de dernière minute l'accapare : révision des instruments
(sa Fender Stratocaster* donne des signes de fatigue), achat d'un
nouveau micro, enregistrement du matériel à la douane, ultimes mises au
point du répertoire, etc. De sorte qu'il passe de moins en moins de
temps à la maison.
—
J'ai l'impression que tu n'es déjà plus là, lui reproche Rose, au terme
d'un week-end maussade. (La saison des pluies qui débute est en accord
parfait avec ses états d'âme.)
L'excitation
de son mari l'irrite au plus haut point, d'autant qu'il ne fait rien
pour la dissimuler. Si, au moins, le regret d'être séparé d'elle venait
tempérer ses ardeurs, mais même pas. Il flotte sur un petit nuage — que
dis-je, il s'y consume d'impatience !
Déjà plus là, en effet.
Déjà ailleurs, très loin. À des milliers de kilomètres. De l'autre côté de la Méditerranée…
Et
elle, pendant ce temps-là, se morfond dans un isolement qui n'est que
le prélude à ces deux longs mois de "célibat" dont la perspective la
transit.
Ce
genre de situation dégénère, forcément. Il faut que ça pète à un moment
ou à un autre, ne serait-ce que par mesure d'hygiène. Rien ne gangrène
autant un couple qu'une frustration qui s'éternise.
L'occasion en est, bien involontairement, fournie par Mona Aoun.
—
Tu sais ce que j'ai appris ? annonce-t-elle un beau matin à Rose. Il
paraît que les punitions corporelles sont monnaie courante, chez les
Jésuites. Je le tiens d'un de leurs anciens élèves. Grégoire ne s'est
jamais plaint d'avoir été battu ?
Rose reçoit l'information comme un coup de poing dans l'estomac.
—
HEIN ? bondit-elle. Ils osent frapper les mioches, cette bande de
salauds ! Ça, je l'aurais parié. Je le savais bien qu'on n'aurait pas dû
leur confier le petit. Je l'avais dit à Amir, mais il ne veut jamais
m'écouter.
Et, ni une ni deux, elle téléphone à son mari.
—
Qu'est-ce que c'est encore que cette histoire ? grogne ce dernier,
lorsqu'au milieu des éructations verbales de sa femme, il parvient à
saisir de quoi il retourne.
Elle
insiste. Il faut tout de suite intervenir. Alerter les autorités
compétentes, faire fermer cet établissement de merde. Et surtout,
surtout, arracher Grégoire aux griffes de ces sadiques !
— Du calme, l'exhorte Amir. Ne t'emballe pas comme ça, ce n'est sans doute qu'une rumeur sans fondement.
— Rumeur ou pas, je veux en avoir le cœur net. Pas question que je laisse ces brutes traumatiser mon gosse !
— Est-ce qu'il a l'air traumatisé, franchement ? Il n'a jamais été aussi épanoui.
—
C'est l'impression qu'il donne, mais il nous cache peut-être la vérité.
Si ça se trouve, ils le menacent des pires horreurs pour qu'il ne les
dénonce pas.
À bout d'arguments, Amir pousse un soupir exaspéré :
—
Écoute, Rose, je suis à quatre jours de mon départ, j'ai encore une
tonne de trucs à faire, alors, si vraiment tu flippes — à tort, à mon
avis, mais bon, je n'ai pas les moyens de t'en empêcher —,
débrouille-toi toute seule. Renseigne-toi, vérifie tes sources, et pour
commencer, interroge le directeur. Après tout, ce n'est pas moi qui vais
t'apprendre à mener une enquête !
Cette démission (ou, du moins, ce qu'elle juge comme tel) n'est pas du tout, du tout du goût de Rose.
— Merci pour ton efficacité, siffle-t-elle. Père à la noix, va !
Et elle lui reclaque le téléphone au nez.
Il rappelle.
Elle ne répond pas, et pour cause : elle est déjà dehors.* Fender Stratocaster : marque de guitare
électrique mythique dans les années
1950-1960
Un peu triste, cet épisode, n'est-ce pas ? Allez, on va sortir les bloopers d'époque :
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