PROMENADE NOCTURNE
Hélas,
la création demande un minimum d'entrain. Or, du fait de sa maladie —
dont c'est justement la caractéristique —, Amir en est, pour l'heure,
totalement dépourvu. Dès lors, bien qu'ayant apprécié à sa juste valeur
le spectacle des Clounes, il "sèche". Et au bout de trois jours d'essais
infructueux, déclare :
— Je renonce.
— QUOI ? bondit Rose. Tu n'es pas sérieux, là ? Tu laisserais passer une occasion pareille ?
— En ce moment, je suis incapable d'aligner trois notes.
Il a la voix qui tremble, en disant ça.
Navrée
par ce poignant constat, Rose hésite entre le plaindre et le secouer.
Puis elle se dit que ces deux attitudes sont aussi infantilisantes l'une
que l'autre — donc indignes de l'amour qu'elle lui porte — et opte pour
une troisième : le défi.
— À toi de décider, hein, lance-t-elle. Moi, je veux bien rester serveuse jusqu'à la fin de mes jours !
Résultat des courses : non seulement Amir ne crée pas, mais il s'enfonce encore un peu plus dans son mal-être.
*
Une nuit :
— Amir ?
— …
— Ça va ?
— …
Rose
se redresse sur le coude. Un filet de lune, pénétrant entre les rideaux
disjoints, dessine le profil de son mari, à ses côtés, dans l'ombre. On
dirait un gisant de marbre. Allongé sur le dos, les bras le long du
corps et les yeux grand ouverts, il fixe un point très loin, droit
devant lui.
— Amir, insiste-t-elle. Amir, réponds-moi !
Il tourne la tête vers elle. Ses yeux brillent étrangement.
— Tu pleures ?
Depuis quelques temps, il ne fait plus que ça, pleurer. Elle l'enveloppe dans ses bras, le berce.
— Qu'as-tu, mon amour ? Pourquoi ne dors-tu pas ? Il est au moins deux heures du mat' !
Et lui, dans un souffle :
— Je ne te mérite pas.
— C'est quoi, ce nouveau délire ?
— Ce n'est pas un délire, c'est la vérité. Tu devrais me quitter, refaire ta vie ailleurs.
Elle allume la lampe de chevet ; il est pâle à faire peur.
— Tu veux qu'on parle, Amir ? Tu as quelque chose de spécial à me dire ?
Pas de réponse. Il a repris sa pose de gisant muet. Littéralement muré dans sa souffrance.
— Euh… On va faire un tour ?
L'entraîner dehors, c'est tout ce qu'elle a trouvé pour le pousser à bouger. À quitter cette immobilité de statue qui la transit.
Elle le prend par la main, le tire du lit. L'oblige à s'habiller :
— Allez ! Ton pantalon… Ton pull, maintenant ; tes chaussettes.
Il obéit en automate.
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