RICCO
La
nouvelle tombe comme un OVNI dans leur marasme : Ricco débarque à
Paris, début octobre. Il s'est inscrit aux Beaux-Arts, en architecture
intérieure, et loue une piaule à la Cité U*.
Rose, avertie par lettre, attend fébrilement le retour de son mari pour le lui annoncer. À défaut, elle en parle à Mme Irène.
—
Formidable, applaudit cette dernière. Au fait, ajoute-t-elle avec
embarras, je me suis renseignée pour la fête de l'Huma : question
spectacles, ils sont complets.
— Je m'en doutais, dit Rose, qui n'en est plus à un plan foireux près.
— Amir peut toujours faire la manche dans l'enceinte, mais il devra payer son entrée.
— Cher ?
— Soixante-dix francs pour les deux jours.
— Nous, on bouffe une semaine, avec ça.
Chapitre clos.
Par
chance, aujourd'hui, rien ne peut entamer la bonne humeur de Rose. La
venue de Ricco va tout changer pour eux, elle en est sûre. Sa force, sa
sérénité, sa bienveillance — elle ne dit pas « son fric », non, elle ne le dit pas, mais le pense peut-être inconsciemment — vont redonner le goût de vivre à Amir.
Dieu ! qu'elle a hâte de lui annoncer la grande nouvelle !
Huit heures.
Neuf heures.
Dix.
Onze.
L'irritation de Rose prend peu à peu le pas sur son impatience.
« Ça recommence comme l'autre fois. Il est chiant, ce mec ! S'il s'est encore bourré la gueule, il va m'entendre. »
Minuit.
Une heure. À force d'attendre, elle finit par s'endormir tout habillée.
C'est une présence furtive qui la réveille, au petit matin.
— Amir ? D'où tu viens ?
— Du commissariat.
— QUOI ?!
— J'ai passé la nuit au poste.
Et
de lui narrer sa mésaventure : la veille au soir, une échauffourée a
éclaté dans le métro. Un Black qui tentait de truander s'est fait
molester par le poinçonneur.
— Il tenait de ces propos racistes, l'enfoiré ! Alors, nous, forcément, on est intervenus.
— Qui ça, "nous" ?
— Tu sais, les étudiants qui avaient tant aimé ta chanson.
— Tu es resté en contact avec eux ?
—
Forcément : leur Fac est sur ma ligne. Donc, on a gueulé, ça s'est
envenimé, et le chef de station a appelé les flics qui nous ont
embarqués….
— La vaaache !
—
Comme tu dis. Le problème, c'est que maintenant, je suis fiché. Ce
n'est pas très bon, pour un étranger. Le commissaire m'a prévenu : à la
prochaine incartade, je suis viré de France.
— Tu veux dire… qu'on sera obligés de retourner au Liban ?
Elle ne l'a pas dit, elle l'a crié. Un cri de joie.
— Plutôt crever ! rétorque Amir, les dent serrées. Les humiliations, j'en ai jusque là, figure-toi.
— Où on ira, alors ?
La réplique sort comme un crachat :
— Chez tes parents.
Rose
retient juste à temps une réplique bien sentie, du genre : « Ce
coup-là, mon pote, on ne me le fait pas deux fois » et, raisonnablement,
se dit : « Évitons la dispute ; à cran comme nous le sommes, on sait où
ça commence mais pas où ça s'arrête. »
— Ricco arrive dans trois semaines, susurre-t-elle, histoire de détourner le cours de la conversation.
Réaction imprévue autant qu'imprévisible : Amir fond en larmes.
— Dors, dit Rose, mettant cette extrême sensibilité sur le compte de la fatigue. Tu n'en peux plus.
Ce
qu'elle ignore, c'est que ce sont les premiers symptômes d'une
dépression nerveuse qui va s'accentuer de manière alarmante durant les
mois à venir.
Dans l'immédiat, l'ayant aidé à se déshabiller, bordé, mouché et embrassé, elle s'éloigne sur la pointe des pieds.
Il est cinq heures.
Paris s'éveille.
* Cité U : cité universitaire de la porte d'Orléans
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