vendredi 16 septembre 2016

ROSE 138
























   BRASSENS


Sur ces entrefaites survient la rentrée. En emmenant Grégoire à l'école, le premier septembre, Rose pousse un double soupir de soulagement. D'un part, l'appartement est bien plus calme sans lui, et d'autre part, la cantine ne coûte que trois francs pour les enfants de familles nécessiteuses. De plus, sa maîtresse — une petite bonne femme à peine plus haute que lui, à la bouille ronde et aux dents de castor— est éminemment sympathique. Au moins, de ce côté-là, tout baigne.


                                                          *

« Et si j'essayais de devenir parolière ? se dit Rose un beau matin. J'ai tout de même une certaine expérience dans ce domaine, non ? »
Amir, consulté, approuve sans réserve — mais ignore la marche à suivre pour accéder aux milieux très fermés du showbiz.
Le mieux, c'est d'être introduit par quelqu'un, réfléchit Rose.
Tu ne connais personne, lui signale Amir.
— Non, mais… j'ai lu un truc sur Georges Brassens… Attends que je le retrouve.
Elle fouille la pile de journaux entassés près du lit.
— Ah, voilà ! Ils disent qu'il habite derrière la gare Montparnasse. Rue… rue… impasse Florimond.
Oui, et alors ?
         — Je suis sûre que si je lui montrais mes textes, il accepterait de m'aider.
— Tu veux aller voir Georges Brassens pour qu'il te pistonne ? Eh bien dis donc, tu ne manques pas d'air !
Qui ne risque rien n'a rien. D'ailleurs, j'y vais tout de suite.
— Moi aussi, dit Amir en consultant sa montre. Dans une petite demi-heure, c'est la coupure de midi : il y aura du monde sur la ligne.
Chouette, je te verrai chanter.
Non, habibté.
Pourquoi ?
Je veux bien m'humilier, mais pas devant toi.
Ça, c'est aussi touchant qu'une déclaration d'amour.
— Comme tu voudras, dit Rose, toute molle à l'intérieur. Mais on peut quand même faire un bout de chemin ensemble, non ? Attends-moi, j'en ai pour cinq minutes : le temps de préparer Olivier et de prendre mon dossier "chansons"…
Ils gagnent donc la station de métro côte à côte. Mais ne montent pas dans la même rame.
Cinquante minutes plus tard, Rose atteint Montparnasse.
— Maintenant, il s'agit de trouver l'impasse Florimond, dit-elle à son fils, qui, à mille lieues de ces considérations, fait placidement des bulles de salive.
Malgré un sens de l’orientation plus que rudimentaire, elle repère rapidement la gare : une énorme bâtisse de verre et de béton dont la modernité détonne dans le paysage. Elle la contourne, demande son chemin. Et découvre avec stupeur qu'un parisien sur deux ne connaît pas sa ville, ni même son propre quartier.
Il fait une chaleur étouffante. Olivier, qui, à force de faire des bulles s'est assoupi, pèse lourd sur ses bras. La foule la bouscule. Rouge, suante, exténuée, elle s'écroule sur un banc. En se disant que, décidément, elle déteste Paris, la France, le monde entier... Sauf Zouk.
À nouveau, le souvenir de son village lui emplit le cœur d’amertume.
« Dire qu'en ce moment, je pourrais être sur la terrasse, en train de siroter un jus de citron… Ou de discuter avec Omane… Et au lieu de ça ! »
Derrière elle, une affiche. Le portrait d'un jeune homme au visage tuméfié, barré de ce slogan rageur : Coupez les fleurs, vous n'empêcherez pas le printemps. Elle se relève en frissonnant.
Enfin, après de nombreux tours, détours, retours et louvoiements, elle finit par trouver ce qu'elle cherche : la petite impasse où habite Georges Brassens.
Instantanément, sa fatigue s'envole. Elle ne sent plus le poids inerte d'Olivier, qui lui bave sur l'épaule en dormant. L'excitation fait battre son cœur, son sang coule plus vite dans ses veines.
D'un pas vif, elle gagne le n°5 et sonne.
Personne ne vient ouvrir.
Elle insiste.
Rien.
Alors, une à une, elle glisse ses chansons sous la porte et s'en va.   
En oubliant de laisser son adresse.


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