LA GLOIRE
Aucun de ses envois ne recevra de réponse. En revanche, de temps à
autre, Amir interprétera « Ça vaut pas l’coup » dans le métro. Ça le
changera un peu de Yesterday et de Michelle.
Conséquence directe — et pour le moins inattendue — : un soir, au lieu
de revenir vers dix-neuf heures, comme d'habitude, il tarde jusqu'à
minuit passé. Rose l'attend sur le trottoir en faisant les cent pas.
— Où t'étais, merde ? crie-t-elle, du plus loin qu'elle l'aperçoit.
Lui, suspectement hilare :
— Je suis allé prendre un verre avec des potes.
— T'aurais pu me prévenir, j'étais folle d'inquiétude.
— Excuse-moi, je n'ai pas vu passer l'heure.
— Qui c'est, ces potes, d'abord ?
— Tes admirateurs…
Rose, désarmée :
— Ah ?
—
Cet aprèm, je chantais ta chanson sur la ligne Porte d'Orléans - Porte
de Clignancourt quand trois mecs sont montés. Des étudiants en droit. En
général, les voyageurs n'écoutent pas les paroles ; eux, si. Quand j'ai
eu fini, ils ont applaudi, puis ils m'ont invité à boire un coup. On a
beaucoup parlé…
— De mon texte ?
— Ouais, entre autres. Ils trouvent que tu devrais en faire d'autres, dans le même style.
— Et toi ? dit Rose.
— Moi, je t'aime, rigole Amir.
Il a le vin romanesque.
— Ça te réussit de prendre une cuite, remarque Rose. Il y avait longtemps que je ne t'avais pas vu dans une telle forme !
Une forme éphémère, hélas. Car dès le lendemain, Amir, miné par la
précarité de leur situation, redevient l'être soucieux et irascible
qu'il est de plus en plus.
*
En son absence, une nouvelle idée germe dans la tête de Rose.
« Si j'essayais de recontacter Gaby Askar ? Je pourrais peut-être
arriver à les réconcilier, qui sait ? C'était quand même moins pire
quand ils bossaient ensemble. »
— Allo, Gaby ? C'est Rose.
Voix ennuyée :
— Ah, salut…
— J'ai une chanson à te proposer.
— Je suis très occupé, là.
— Tu ne pourrais pas passer chez nous, un de ces quatre ? Je suis sûre qu'Amir serait content de te revoir.
— Désolé, mais pas moi.
Houlà, c'est mal barré. Rose se mordille les lèvres.
— Euh… vous devriez vous réconcilier.
— C'est lui qui t'a demandé de m'appeler ?
— Non, il ne le sait même pas.
—
Écoute, Rose : ton mari m'a planté au milieu d'une tournée, et ça, je
ne le lui pardonnerai jamais. Pour moi, il n'existe plus. Par contre, je
n'ai rien contre toi. Envoie-moi ton texte, je verrai ce que je peux
faire
— Non merci, dit Rose. C'est nous deux ou personne.
— Alors, ce n'est personne, répond Gaby — avec une sorte de soulagement.
Et il raccroche.
« Connard ! » pense Rose.
Elle
n'avouera jamais sa démarche à Amir. Ni son acte de loyauté. Mais en
concevra une fierté intime qui compensera un peu sa déception. On se
console comme on peut.
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