LES PORTES DE L’ENFER
Un
quartier, quel qu'il soit, mérite qu'on l'explore. Une semaine après
son installation, Rose a déjà repéré tous les commerces, inscrit son
fils aîné à l'école maternelle pour la rentrée prochaine, et
comptabilisé les "agréments" de la ville, à savoir : outre le parc et la
bibliothèque, une piscine, une salle de sport, un cinéma, un théâtre,
une grande surface et le métro à dix minutes de marche.
Finalement, en dépit de sa laideur, Aubervilliers a de la ressource, et il ne tient qu'à elle d'en profiter.
Elle
a tout le temps pour : son mari bosse comme un malade ; elle ne le voit
quasiment plus. La tournée commence le premier juillet — c’est-à-dire
dans une dizaine de jours, et l’orchestre est sur les starting-blocks.
—
On se produira chaque soirs dans une ville différente, lui annonce
Amir, radieux : Charleville-mézières, Béthune, Douai, Melun… Depuis le
temps que j'attendais ça !
— Quel dommage que je ne puisse pas vous accompagner, regrette Rose. Ça m'aurait bien plu d'être ta groupie.
Elle mime l'hystérie des fans de groupes de rock :
— Amiiiiiiiiiiiiir !
—
Quand je serai riche et célèbre, je te payerai une bonne pour garder
les enfants, pendant nos déplacements, promet Amir. Comme ça, tu pourras
venir avec nous.
En
attendant, Rose se prépare à un mois de solitude, dans les miasmes
grisâtres d'Aubervilliers, que même le soleil d'été ne parvient pas à
embellir.
Une
chance, dans son malheur : tante Ida lui a fait cadeau de la Rémington
de feu son mari — qu'elle a d'ailleurs, vu le poids et le volume de
l'engin, eu toutes les peines du mondes à ramener en train. Écrire lui
permettra de s'évader. Lire également, et la bibliothèque est bien
achalandée. Entre ces deux occupations majeures, le ménage et les
enfants l'absorberont assez pour que le temps passe (relativement) vite.
Du moins l'espère-t-elle.
Elle
se concocte donc un planning en béton et, dès le deux juillet — après
s'être accordé une journée, rien qu'une, de vague à l'âme —, s'emploie
activement à le respecter. Le matin : courses, préparation des repas,
ménage. L'après-midi : bibliothèque, parc, lecture sur un banc pendant
que les enfants jouent, goûter sur place, retour à la maison, bain,
souper, dodo. Et enfin, écriture jusqu'à pas d'heure.
Dans ces conditions, Les portes de l'enfer — c'est le titre du bouquin — avance gentiment. Et Rose, jour après jour, nuit après nuit, y puise un regain d'énergie.
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