dimanche 4 décembre 2016

LE BEL ÉTÉ 54





















                                                                       MÉMÉ GEORGETTE FOR EVER
 
         Je vous dois la vérité. En fait, ce n’est pas moi qui ai séduit Castor, c’est mémé Georgette. Ce personnage de vieille râleuse, créé spécialement  pour Siné Hebdo, anima, de 2009 à 2010, ma rubrique : « Vos gueules, les mômes ! », avant d’être repris dans la revue Psikopat sous le titre : « Les Pochtronnes ». 
 
         Un petit exemple au hasard ?
 
 
                                                            MORT AUX VACHES !
 
         —  Ils sont parmi nous,  déclare Mémé Georgette d’un ton lugubre. Et rien ne pourra les arrêter. 
         —  Toi, t’as regardé un épisode de ce vieux feuilleton... comment il s’appelait, déjà ? Ah oui, « Les Envahisseurs ».
         —  Pas du tout : je suis allée boire de l’eau chaude chez ma copine Muriel.
         —  De l’eau chaude ?
         —  Ouais. Elle, elle appelle ça du thé blanc, mais comme ça a la couleur de l’eau, l’odeur de l’eau et le goût de l’eau, c’est forcément de l’eau, non ?
         —  Quel rapport avec les envahisseurs ?
         —  Aucun. Je parlais juste de la nouvelle religion intégriste qui consiste, comme toute religion digne de ce nom, à déterminer ce qui est bien ou mal et à convertir les infidèles — sur internet, entre autres — en les culpabilisant au maximum.
         —  De quoi tu parles ? De l’Islam ?
         —  Meunon, gourdasse, de la Diététique, également dénommée « bien-manger » (par opposition à la diabolique « malbouffe »), et dont saint Quinoa est le Prophète.
         —  ?
         —  Dans cette religion, le démon, c’est les vaches. «  Tu bois du lait ? s’est effarée Muriel quand je lui en ai demandé « un nuage » pour mon eau . Mais t’es foooolle ! Ça donne le cancer. Tu manges du beurre ? De la crème fraîche ? Du yaourt ? Dépêche-toi de faire ton testament, tu n’en as plus pour très longtemps à vivre... Tu ne sais donc pas que les produits laitiers sont un poison pour l’organisme ? C’est prouvé sci-en-ti-fi-que-ment. »
         —  Tu caricatures, là, Mémé ?
         —  À peine. Moi qui ai été élevée dans le catholicisme le plus ostracique, je retrouve les mêmes mécanismes : tu seras puni par où tu as péché. Manger doit être un acte de survie, non un plaisir. Le plaisir, c’est le mal. Si tu consommes autre chose que des céréales complètes ou des graines germées vendues en biocop, tu t’exposes au châtiment divin.
         —  N’importe quoi !
         —  Et ce n’est pas tout : l’un de ces prêcheurs alimentaires vient de découvrir une recette à base d’argile verte et de plantes, pour se prémunir contre les radiations.
         —  Wouah ! Le coup de pub génial !
         —  Comme tu dis. Vu que la base de la Foi, c’est la peur de la mort, les adeptes vont pulluler. En fait, l’autre, là, le Peyrefitte, se plantait allègrement  quand il prophétisait : « Le vingt-et-unième siècle sera mystique ou ne sera pas ».
—  Pourquoi ?
          —  Ben c’est « Le vingt-et-unième siècle sera sain ou ne sera pas », qu’il aurait dû dire.
—  Hé, ho, Mémé, tu nous les brises avec tes conneries.  Patron, remets-nous ça ! Pour faire taire la Georgette, rien de tel qu’un bon goulot.
—  Nan, le pinard, c’est trop soft. Sers-moi plutôt du lait, la boisson des rebelles...
 
         Ah, si on m’avait dit, quand je vitupérais contre l’actualité entre les pages de ces sympathiques journaux, qu’un lecteur, charmé par mes éructations,  me prendrait sous son aile, quelques années plus tard… 
          « Nos actes nous suivent », me répétait ma mère, à chaque fois que je commettais une bévue. « Nos écrits également », aurais-je pu ajouter —, et ce, non sans fierté puisque je leur devais ma survie actuelle.
 
         Castor, quant à lui, semblait prendre plaisir à traquer la mémé Georgette qui, tel Mister Hyde, se réveillait souvent en moi. Comme il ne quittait jamais son appareil photo,  à peine me renfrognais-je qu’il me tirait le portrait, avec, je le soupçonne, un voyeurisme perfide de paparazzi en rut. De sorte qu’il entassa dans son ordinateur un nombre impressionnant de clichés maussades qui passeront sans doute à la postérité. « La harpie du Tarn » me surnommera-t-on à voix basse (comme on parle de Grand-mère Kal  à l’île de La Réunion ou de la fée Carabosse dans les contes pour enfants.)
         Ainsi naissent les légendes…





         

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