RENCONTRE
Vint le mois de juin, et, avec lui, la Comédie du Livre de
Montpellier où, sollicitée par un ami libraire, j’acceptai de me
rendre. (La chose est assez rare pour être signalée : estimant ma
présence indispensable à mon malade, je refusais tout déplacement depuis
fort longtemps). J’annonçai le scoop sur mon blog, en précisant :
« Ceux qui seraient tentés par un p’tit brin de causette seront les
bienvenus ! ». Ainsi eus-je le plaisir de retrouver Rémy G., un copain
écrivain qui habitait la région, et que je n’avais plus vu depuis des
lustres…
Je signais, sagement assise à mon stand, quand soudain apparut un
homme vêtu de noir qui, surgissant d’entre les piles de livres, me
chuchota gravement :
— Je suis Castor Tillon.
Le brouhaha ambiant couvrant sa voix, je lui fis répéter.
— Oh ! Castor ! m’écriai-je quand je réalisai.
Et, ni une ni deux, je lui sautai au cou.
Quelques minutes plus tard, attablés devant un verre, nous faisions plus ample connaissance.
Contrairement à ce que laissaient supposer ses coms rigolards, c’était
quelqu’un d’infiniment pudique et réservé. J’appris, ce jour-là qu’il
était pastelliste (ce que me confirma, le soir même, son site internet)
et adorait les animaux — les insectes en particulier, qu’il
photographiait à foison.
J’appris également — avec une confusion facile à deviner — qu’il
vivait en Auvergne. Six cents bornes pour deux trois dédicaces et dix
minutes de conversation, c’était dingue, non ? Ce coup-là, juré-craché,
on ne me l’avait encore jamais fait…
Durant une bonne partie de la journée, Castor louvoya de table en
table. A chacun de ses passages, nous échangions un regard complice, de
sorte que vers cinq heures du soir, lorsque je m’inquiétai de mon
horaire de retour, il me proposa tout naturellement :
— Si ça t’embête de prendre le train, je peux te ramener en voiture.
J’eus une seconde d’hésitation — juste une. Après tout, le long trajet
qu’il s’était imposé trouverait peut-être sa justification dans cette
heure et demie de tête-à-tête routier ?
— On me raccompagne, lançai-je au libraire, ahuri. Garde mon billet, tu
te le feras rembourser par la SNCF !
J’appris, bien plus tard, qu’il s’était inquiété de me voir ainsi
partir avec un inconnu. Il ne fut pas le seul.
— Et si ç’avait été un serial killer ? s’effara un de mes
potes, auteur de thrillers sanglants, à qui je narrai la chose.
Je ne souffrais pas, par chance, de ce genre de parano.
Sylvain, non plus. Quand je lui annonçai que je rentrais avec
Castor, il mit un hachis Parmentier au four et prépara la chambre
d’amis. L’irruption dans notre vie de ce copain virtuel qui, subitement,
ne l’était plus, se fit donc dans la décontraction la plus totale.
D’autant que le repas était délicieux.
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