mardi 29 novembre 2016

LE BEL ÉTÉ 49





















                                                  MIROIR, MON BEAU MIROIR


         Si, telle la Jézabel de Racine, je redoutais « des ans l’irréparable outrage  », cette crainte, aujourd’hui, n’était plus de saison.  Les signes que je traquais jadis dans mon miroir — cheveux gris, rides, ridules, coussinets sous les yeux, empâtement des hanches, des chevilles, de la taille —, semblaient bien anodins, comparés aux syndromes qui me frappaient depuis peu. Une vieille en bonne santé, c’est, ma foi,  supportable, et ça peut même encore faire illusion.  Une malade condamnée à plus ou moins court terme, non. Je repensais souvent à ces fleurs filmées  en accéléré. L’on y voyait, hop, hop, naître et s’ouvrir le bourgeon, puis s’épanouir un à un les pétales  avant l’altération finale (le tout — naissance, vie et mort — torché-bouclé en moins de dix secondes.)
         — Comment peux-tu m’aimer dans cet état ? demandais-je à Castor.
         Il riait.
— Je t’aimerais dans n’importe quel état, voyons.
         Un ange, je vous dis !
         Or, offrir à cet ange une face de pleine lune bouffie par la cortisone me navrait.  Moi qui ai toujours nié la maladie — et, par conséquent, ses stigmates —, je me retrouvais, comme tous les cancéreux,  marquée du sceau d’infamie de la chimio. En dépit de mes casquettes bardées de badges sympas, j’avais le sentiment d’incarner, de manière outrancière, la malédiction de l’époque. Un truc honteux, assez sale et repoussant, un peu comme la vérole au XIXème siècle. Mais Castor, qui était le seul à me voir tête nue,  relativisait ces affres d’un sourire. Il trouvait même moyen d’ajouter que j’étais belle. Cette formule magique, en éloignant la farandole grimaçante de mes spectres, me rendait, un instant, ma chevelure luxuriante et mon intégrité physique. D’autant qu’elle se doublait forcément d’un baiser — autre exorcisme, et non des moindres.
         J’émergeais donc de ses bras telle Vénus sortant de l’onde ; toute neuve à chaque fois. 
         Pour cela aussi — pour cela surtout —, ma reconnaissance lui est acquise à tout jamais.




2 commentaires:

  1. Les castors ont un goût très sûr. Bien sûr, que t'étais belle.

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    1. Même les gens qui n'ont pas de goût aimaient Gudule, c'est dire !
      Merci ma Joëlle.

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