dimanche 28 août 2016

ROSE 119

 


NOUVEAU ROMAN

Dans les jours qui suivent, la situation s'aggrave encore. Après Nanterre, c'est au tour de la Sorbonne d'être fermée. Manifs et combats de rues se succèdent à un rythme effréné, et le mouvement gagne la province. Voitures brûlées, magasins pillés, barricades, cocktails Molotov… D'après les journaux — qui ne parlent plus que de ça — toutes les grandes villes françaises sont à feu et à sang.
         Si bien que Rose commence à pétocher.
Comme pendant la guerre des six jours, exactement !
— Tu es sûr que tu ne risques rien ? demande-t-elle pour la Nième fois à Amir auquel, sur les instances de sa tante, elle téléphone quotidiennement.
Il assure que non : le vingtième arrondissement est calme, le gros des affrontements se déroulant au Quartier Latin.
— Promets-moi que s'il y a le moindre danger, tu viendras me retrouver, l'adjure-t-elle.
Il s'y engage, croix de bois croix de fer.
Sinon, en ce qui concerne l’orchestre, ils travaillent d'arrache-pied. Gaby peaufine son interprétation —« de TES chansons, habibté, ce qui me donne un peu l'impression d'être près de toi »— et les p'tits nouveaux commencent à se dessaler. Mais le répertoire n'est pas au point, loin de là. Il leur faudra encore des semaines de répétition avant de pouvoir monter sur scène.
— Toujours le même refrain, grogne Rose en raccrochant. Et pas un mot de l'appart’.
— Comment veux-tu qu'il prospecte, en ce moment, ce pauvre garçon ? la rabroue sa tante. Sortir de chez soi, c'est s'exposer à recevoir un mauvais coup.
Tu as raison, reconnaît Rose.
— D'ailleurs, même s'il trouvait quelque chose maintenant, ça t'avancerait à quoi ? De toute façon, je ne te laisserais pas partir.
Elles se sourient.
Tu n'es pas bien près de moi, brigande ?
— Si, évidemment, admet Rose. Mais je culpabilise, que veux-tu. Les vacances, ça va cinq minutes …
— Eh bien, profites-en, de ces cinq minutes, au lieu de ronger ton frein. Même si c'est cinq jours, cinq semaines ou cinq mois.
Et je gagne ma vie comment, pendant ce temps-là ?
— N'avais-tu pas commencé à écrire un livre, avant ton départ du Liban ? Pourquoi ne le continues-tu pas ? Ça t'aiderait à patienter.
La suggestion n'est pas mauvaise, surtout assortie de propositions concrètes : si elle a besoin d'une machine à écrire, celle de son oncle — une Remington antédiluvienne, dont le bruit évoque celui d'une mitraillette — est à sa disposition.
— Dans ce tiroir, il y a un ruban neuf, des feuilles vierges et même du papier carbone, au cas où tu souhaiterais faire des doubles, précise tante Ida.
Il ne reste plus à Rose qu'à se lancer. Pas dans l'ancien roman resté en rade, non : trop de chose se sont passées, depuis ; elle a perdu le fil. Dans une histoire toute neuve, inspirée, pourquoi pas, de ce qu'elle est en train de vivre.
Un voyage dans le temps, disons.
De troublantes retrouvailles.
Et la guerre qui fait rage.
Dans ce récit de science-fiction, Amir serait un militaire. Rose (rebaptisée Tara pour la circonstance) également. Lors de l'attaque nucléaire qui aurait détruit leur base, la jeune femme, sous l'effet conjugué de l'explosion et de la peur, crèverait le continuum spatio-temporel pour atterrir dans une autre dimension. Celle de son enfance, pour être exact. Tout y serait demeuré intact, hormis elle-même — ou du moins sa conscience. Une conscience d'adulte dans un corps de fillette.
Après avoir cédé aux attraits du passé, Tara n'aurait de cesse d'en fuir la vénéneuse emprise pour rejoindre son amour, quitte à forcer les portes de l'enfer.



                                            *

Ça va, Rose ? Tu as de l'inspiration ?
Impec', tata ! Je termine le premier chapitre.
Elle est pas belle, la vie ?



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