vendredi 26 août 2016

ROSE 117

 


                                            RETROUVAILLES

C'est d'un doigt frémissant que Rose appuie sur la sonnette.
Quelques secondes passent puis la porte s'entrouvre. Et un visage couperosé se dessine dans l'embrasure.
Bonsoir, madame Lambermont.
Mon Dieu, la petite Rose ! Te v'là revenue, féfeye* ?
        — Oui, je suis chez ma tante pour une semaine ou deux. Etienne est là ?
— Bien sûr, entre !
Mme Lambermont n'a pas changé d'un poil. Les années écoulées ne semblent pas avoir eu de prise sur elle. Toujours ce chignon noir strié de cheveux gris, fait à la va-vite et auréolé de mèches folles, ce tablier à carreaux, ces savates usées. Ces joues rebondies, un peu trop rouges. Cette brusquerie qui cache une tendresse exquise.
— Etieeenne ! Alphooonse ! V'nez donc voir qui qu'est là, asteure* ! 
À son appel, un gros homme chauve, en maillot de corps et bretelles, apparaît au bout du couloir, tandis qu'un bruit de dégringolade résonne dans l'escalier.
Rose, qué novelles ?*
Ça alors ! T'es toujours vivante ?
Tout est pareil, décidément. N'était le pas traînant de M. Lambermont — qui, lui, a bien vieilli —, et le fait qu'Etienne soit adulte, Rose pourrait se croire revenue dix ans en arrière.
La cuisine, elle aussi, est la même, avec son poele à charbon, allumé été comme hiver, sur lequel gazouille une bouilloire d'émail jaune.
Ils s'asseyent tous quatre autour de la table. La maîtresse de maison sort un paquet de petits-beurre, les dispose sur une assiette ; son mari propose un goutte de pecket*.
Non merci, dit Rose. Moi, l'alcool, vous savez !
Inne tite jatte di cafè*, alors ?
Pas à cette heure-ci, ça empêche de dormir.
Qu'est-ce que je pourrais t'offrir à boire ?
Rien. Le plaisir de votre compagnie me suffit.
Elle rayonne. Comme lorsque, autrefois, elle venait en vacances, et que sa première visite était toujours pour eux.
Et, comme en ce temps-là, Etienne la couve des yeux. 
Ses hôtes la pressent de questions sur sa vie, son métier, sa famille, ses voyages. C'est que, face à ces indécrottables sédentaires, elle fait figure d'aventurière, la petite Rose ! Déjà, enfant, elle leur venait de la capitale — ce qui, pour des personnes n'ayant jamais quitté les rives de la Meuse, représentait déjà le bout du monde —, alors, pensez, de l'étranger ! Des exotiques pays arabes !
Est-ce vrai que, là-bas, toutes les femmes sont voilées ?
Et ton mari, il est musulman ?
Comment s'habille-t-il ? Porte-t-il un turban, des babouches?
La peau de tes enfants, de quelle couleur est-elle ?
Rose répond, rit. Explique que, finalement, la Belgique et le Liban, c'est du pareil au même, à quelques détails près. Sous toutes les latitudes, les gens sont des gens, n'est-ce pas ? Ils ont deux bras, deux jambes, ils vivent, ils meurent, ils aiment ; le reste n'est que broutille. Et de décrire par le menu son village de tisserands, ses amis arméniens, son beau-frère, sa belle-sœur, la bonne vieille Têta qui a élevé son fils — en passant soigneusement sous silence les tristes événements et leurs protagonistes : Zénab, Isis, Nadège, Mona…
— C'est le paradis, ce pays, conclut Etienne. Pourquoi l'as-tu quitté ?
— Amir n'avait aucun avenir, en Orient. Pour un musicien, le seul tremplin possible, c'est Paris.
               Et en plus, elle est femme d'artiste. D'une future vedette du showbiz. Décidément, cette petite Rose, quelle destinée !

  Deux heures plus tard, elle prend congé, enchantée de sa soirée.
On se voit demain ? suggère Etienne, sur le pas de la porte.
Avec plaisir, dit Rose.
Rien n'est plus vrai.


                                               
                                               * Féfeye : littéralement : fifille
                                              * Asteure : maintenant
                                             * Qué novelles ? : Quelles nouvelles ?
                                             * Pecket : alcool de genièvre.
                                             * Inne tite jatte di cafè : une petite tasse de café

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