Septembre.
— On devrait peut-être mettre Grégoire à la maternelle, suggère Rose. Il a besoin d'amis de son âge.
—
D'autant que, sans vouloir te vexer, il devient de plus en plus
intenable, ajoute Amir. Un peu de discipline ne lui ferait pas de tort.
L'intéressé,
consulté, approuve vigoureusement. Souvent, en promenade, il passe avec
sa mère devant la cour de récréation de l'Institut Saint-Joseph,
visible à travers le grillage qui la sépare de la rue. À chaque fois, il
s'arrête et réclame :
— Ze veux zouer 'vec les enfants !
— Quand tu seras plus grand, promet Rose.
Or, là, il va sur ses trois ans et demi.
Une
chose, cependant, la turlupine : il n'y a, au Liban, que des
établissements scolaires confessionnels, et elle est une fervente adepte
de l'école laïque — la communale, comme on disait dans son enfance. Que
de fois, en ces temps pas si lointains, elle a reproché à ses parents
de l'avoir fourrée dans le giron des sœurs ! « Si je veux rentrer un
jour au couvent, ça me regarde, déclarait-elle alors. Mais ce n'est pas
la peine de m'embrigader contre mon gré. » Et de leur jurer que, jamais,
adulte, elle ne commettrait la même erreur.
Aujourd'hui qu'elle se trouve au pied du mur, elle ne peut décemment pas trahir son serment, n'est-ce pas.
— Les prêchi-prêcha, merci bien, explique-t-elle à Amir qui ne comprend pas ses a priori.
En plus, c'est une question d'égalité. Des gens se sont battus pour que
l'instruction soit la même pour tous, je ne vois pas en foi de quoi
certains feraient exception.
Petit rire d'Amir.
— Je t'adore quand tu montes sur tes grands chevaux.
Le ton sarcastique n'arrête pas Rose.
—
Les élèves du privé méprisent ceux du public, poursuit-elle, sur sa
lancée. Je me souviens, gamines, on prétendait qu'ils étaient sales, mal
élevés, et le bruit courait même qu'au lieu de se moucher, ils
mangeaient leurs crottes de nez… Si, si, ne te marre pas : la
malveillance se situait à ce niveau-là.
—
Aucun risque que Grégoire sorte ce genre de connerie, en tout cas,
signale Amir. Puisqu'ici, des écoles publiques, IL N'Y EN A PAS.
—
D'accord, mais la prière, les cantiques, tous ça, pffff… J'ai pas envie
que ces tordus lui remplissent le cerveau de bondieuseries, moi !
— On fait quoi, alors, habibté ? On l’inscrit dans un cours coranique ?
Ça clôt la discussion.
Mais
quelques jours plus tard, Rose revient à la charge, et son mari,
sagement, lui propose un marché : ils vont demander audience au
directeur de Saint-Joseph, et de cette entrevue dépendra leur décision.
Laissant les enfants aux bons soins de Mona Aoun, les voilà donc tous deux partis bras-dessus bras-dessous.
L'homme qui les reçoit — un Jésuite vêtu en clergyman — est affable et cultivé.
—
Soyez sans crainte, nous pratiquons une pédagogie moderne, leur
affirme-t-il, lorsqu'ils lui font part de leurs réticences. Il y a de
tout, dans nos élèves : des enfants de musulmans, de chrétiens
maronites, de Grecs orthodoxes, d'athées,... Nous respectons leurs
opinions et faisons en sorte de ne choquer personne.
Touchée
par ce discours, Rose demande à voir les classes, faveur qui lui est
aussitôt accordée. Elles sont vastes, claires et modernes, si bien qu'au
terme de la visite :
— Moi, ça me plaît, déclare Amir, et toi ?
— Moi aussi.
— Il ne vous reste donc qu'à régler le montant de l'inscription, sourit le directeur.
Dix minutes plus tard, c'est chose faite.
— Tu te rends compte, murmure Rose, qu'on va déjà avoir un fils scolarisé ? C'est une étape, dans notre vie, hein !
— Mouais, acquiesce Amir, ça ne nous rajeunit pas.
Puis, devant l'énormité qu'il vient de proférer, il éclate de rire : à eux deux, ils ont à peine quarante ans.
Bonus : quelques commentaires d'époque...
Bonus : quelques commentaires d'époque...
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