Une heure plus tard (dont la moitié d'embouteillages), Rose débarque rue Hamra, devant l'imposant immeuble d'Orient-Magazine. L'ascenseur émerveille Grégoire qui applaudit, et proteste au moment d'en sortir.
—
Chut, lui recommande Rose. On va chez mon patron, celui qui nous donne
des piastres pour acheter à manger. Alors, sage, hein ! Sans quoi…
Elle
ne précise pas la menace, mais son doigt levé et son froncement de
sourcils sont assez éloquents par eux-mêmes. Suffisamment, en tout cas,
pour que l'enfant se tienne tranquille… oh, cinq minutes, au moins.
L'accueil
est chaleureux, d'autant que Rose apporte un projet qu'elle concocte
depuis un bout de temps. Son état actuel ne la prédisposant pas au
stress des reportages, elle cherchait une rubrique peinarde et l'a
trouvée. Le Coin des petits ça s'appelle, et c'est inspiré du Coin des artistes de la Semaine de Suzette, hebdomadaire belge auquel, enfant, elle était abonnée.
—
Le principe est simple, explique-t-elle à Alexandre Hélou. Nos lecteurs
ont des enfants qui dessinent, écrivent, bricolent, bref s'expriment.
On lance un appel pour qu'ils nous envoient leurs "œuvres", on les
publie et on récompense les meilleures.
Bien qu'elle y mette du cœur, sa proposition ne suscite pas un enthousiasme débordant, loin s'en faut. Le directeur d'Orient-Magazine fait la moue.
— Nous ne sommes pas un journal pour les jeunes, rétorque-t-il.
— L'Hebdo du Liban
non plus, et pourtant, les contes qu'ils publient ont augmenté leurs
ventes. Leur revue n'est plus seulement celle des parents, mais
intéresse toute la famille. Et si les adultes oublient de l'acheter, ce
sont les mômes qui la réclament.
Sensible à l'argument concurrentiel, Alexandre Hélou hoche la tête.
— Soumettez-moi
une page-pilote que je puisse juger sur pièce. Je consulterai mon
équipe, et si l'idée leur plaît, on lance l'opération.
Il sourit à Grégoire, lui tapote la joue.
— Voici sans doute notre premier candidat ?
— Pourquoi pas ? roucoule Rose. Ses gribouillis sont très jolis, hein,
mon bichon ! Hier, il a fait un portrait de son papa, vous seriez étonné
de la ressemblance.
—Il tient de sa mère, rétorque aimablement le directeur.
Rose sort de là regonflée à bloc.
— Si nous allions manger un chawarma ? propose-t-elle à son fils, en lui indiquant une terrasse.
— Awama ? répète Grégoire.— Oui, les bons sandwichs de viande qui tournent, là, sur le gros machin…
Elle s'approche de la plaque électrique où rôtissent les lamelles de
mouton, tassées en un cône compact. Un fumet succulent s'en dégage. Mais
si elle espérait tenter le petit garçon, c’est loupé : il n'a d'yeux
que pour les glaces des autres consommateurs.
— Veux ça ! exige-t-il, le doigt pointé vers une table voisine.
— Va pour la glace, cède Rose. C'est jour faste, aujourd'hui.
Gudule, Beyrouth, printemps 1966.
Ah bah bravo ! Elle était à la viande, au moins, c'te glace ?
RépondreSupprimerBeuuuh. Note, à la Foire de Paris, rayon gourmet artisanal, y avait bien de le confiture au camembert.
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